On ne le dit jamais assez mais la Martinique est une île de la Caraïbe. La Caraïbe, petit archipel situé à proximité du continent Américain est un ensemble d’îles abrite plus de 44 millions d’âmes (chiffres Worldmeter 2023) répartis dans 38 états. Dans cet ensemble de 2 754 000 km² où l’on retrouve de grandes et plus petites îles (Grandes et Petites Antilles), malgré des populations diverses et des langues différentes, des peuples cohabitent pourtant avec une histoire, une culture et des traditions ayant de nombreux points communs. On débute ce dossier avec l'histoire de la Caraïbe en y incluant la Martinique.
Si au départ l'histoire des îles de la Caraïbe semble assez similaire avec des vagues d'immigration d'Indiens venus du Nord de l'Amérique du Sud, l'arrivée de Christophe Colomb, le partage des îles entre les Couronnes européennes, l'exploitation des territoires entraînant une nouvelle vague d'arrivants, les esclaves venus d'Afrique va considérablement changer l'histoire et le face de ces îles. Par la suite, les bouleversements politiques seront nombreux entraînant plus souvent des rapports distendus entre les îles de cet archipel. Cependant, les tentatives de rapprochements économiques et les coopérations en tout genre mises en place laissent augurer une nécessaire collaboration à l'avenir...
Histoire précolombienne de la Caraïbe
La Caraïbe, avant d’être le nom celui d’un groupe d’îles était celui d’un peuple venu de la zone nord d’Amérique du Sud ayant vécu dans l’archipel. L’histoire de la Caraïbe avant Christophe Colomb se résume au peuplement de deux différents groupes, les Taïnos, une peuplade d'un plus grand groupe, les Arawaks occupaient les terres auparavant depuis plusieurs siècles avant l’arrivée par la suite des Caraïbes.
Les Taïnos qui s’étaient installés dans les îles sous le vent et un ensemble allant de Puerto-Rico à la Dominique venaient de l’actuel Venezuela et seraient arrivés vers le quatrième ou cinquième siècle avant J.-C.. Le mot Taïno qui signifie « paix » en langue arawak était attribué à ce peuple pacifique qui aurait colonisé la région plusieurs siècles avant J.-C. Les Borinquens étaient à Puerto-Rico et les Lucayans habitaient dans les Bahamas alors que les Taïnos vivaient dans les îles d’Hispaniola, la Jamaïque et Cuba.
Les Taïnos dormaient dans des hamacs, tenaient des cérémonies rituelles autour d’une icône masculine et féminine, figure en bois en pierre de leurs dieux appelés les « zemis ». De plus, ils considéraient la pluie, le vent, le feu et les ouragans comme des forces naturelles spirituelles. Pour eux, après la mort existait un endroit appelé « cobaya », un endroit sanctifié dépourvu de toute maladie, tempête ou faim. Leur principale source d’alimentation était « la terre et l’océan » : poisson, perroquets, colombes et des petits animaux de terre. A cela, ils rajoutaient du maïs, du manioc ainsi que divers fruits sauvages.
Les tribus Caraïbes en arrivant dans les îles auraient systématiquement forcé les Taïnos à quitter les îles. Cependant, ce serait les explorateurs espagnols qui auraient définitivement exterminé les Taïnos. Dans leur conquête de l’or, les Espagnols éradiquent la tribu en un peu moins de cinquante années. Les conquistadors envoient les Taïnos pour travailler dans des mines d’or et de perles en Afrique du Sud mais, beaucoup, refusant ce rôle préfèrent se suicider plutôt que d’être réduits à l’esclavage. La course à l’or continuera jusqu’à 1521 où de plus larges réserves sont découvertes au Mexique.
De leur côté, les Caraïbes croyaient en des superstitions et une majorité d’entre eux ne s’intéressaient pas à la religion. C’était une tribu guerrière qui portait une longue chevelure noire. Leur habillement principal était constitué de plumes de perroquet, de colliers fabriqués avec les dents de leurs victimes et de peinture rouge sur le corps. Pendant que les hommes pêchaient et chassaient pour se nourrir, les femelles fabriquaient des « carbets », un abri circulaire avec un toit de chaume. Souvent, leurs femmes étaient des Arawaks qu’ils avaient capturées lors de batailles contre leurs ennemis qui occupaient les mêmes territoires. Elles parlaient leur langue natale au sein des tribus Caraïbes.
Les Caraïbes étaient aussi des cultivateurs. Ils cultivaient notamment le « yucca » (nom donné au manioc) ainsi que les patates douces. De plus, c’étaient d’habiles chasseurs. Les hommes étaient d’excellents tireurs avec les arcs à flèches qu’ils utilisaient à cet effet, mais leur précision de tir n’était pas limitée à la chasse, avec des pirogues pouvant contenir jusqu’à cent hommes, ils attaquaient les vaisseaux présents dans les eaux de l’océan. Très peu de Caraïbes ont survécu à la conquête des îles par les Européens.
Par conséquent, ils ont complètement disparu de la Caraïbe d’aujourd’hui. Si un important héritage de leur histoire se retrouve aujourd’hui dans différents musées des différentes îles, c’est les caractéristiques des visages des Arawaks que l’on retrouve chez certains Cubains et Dominicains de notre époque.
La Caraïbe de Christophe Colomb à l'esclavage
Les voyages de Christophe Colomb parfois décriés, ont toutefois été la base de l’exploration du « Nouveau Monde ». Avec la chute de Constantinople en Europe en 1453, les précédentes routes menant aux épices de l’Est où les commerçants pouvaient se rendre en toute sécurité furent fermées. Cette entrave au commerce d’épices augmente le désir d’explorer l’ouest et de s’ouvrir de nouvelles voies pouvant réinstaurer le commerce des épices. C’était la motivation principale de Christophe Colomb pour ses voyages historiques. Il a appelé les différentes îles qu’il a accosté les « Indes » parce qu’il croyait qu’il avait trouvé un passage vers l’Asie et a maintenu cette idée jusqu’à sa mort en 1506.
Pour son voyage inaugural, Colomb sollicite des fonds des principales couronnes d’Europe jusqu’à ce que le Roi Ferdinand d'Aragon et la Reine Isabella acceptent de sponsoriser ses voyages dans le monde occidental. En 1492, sur ses trois vaisseaux appelés aussi caravelles, La Niña, La Pinta et Santa Maria il quitte, avec son équipage la ville de Palos en Espagne.
Il aperçoit pour la première fois une terre le 12 octobre 1492. Il baptise cette île des Bahamas San Salvador appelée autrefois Guaharani. Il aurait éventuellement touché Cuba avant de fracasser son Santa Maria contre une côte de l’île Hispaniola (actuelle île abritant deux pays : la République Dominicaine et Haïti). Il laisse les 38 membres d’équipage du Santa Maria sur l’île et rentre en Espagne où il annonce qu’il a atteint l’Asie. En 1498, il fait son chemin vers Trinidad puis retourne sur la tumultueuse île d’Hispaniola où il doit composer avec les rebelles vivant dans l’île. Il refusa d’y retourner sur l’île d’Hispaniola et découvrit plus tard les coffres d’or de l’Amérique centrale lors de son quatrième et ultime voyage. Ce dernier prit fin avec le naufrage de Christophe Colomb sur une côte de la Jamaïque.
Tableau récapitulatif des Voyages de Colomb et autres explorateurs européens
1492 : Colomb aperçoit une île de l’archipel des Bahamas qu’il rejoint et baptise San Salvador
1492 : Christophe Colomb découvre une autre grande île qu’il appelle Hispaniola
1492 : Découverte par Christophe Colomb
- Cuba,
- Grenade
1493 : Découverte par Christophe Colomb
- Anguilla,
- Antigua-et-Barbuda,
- la Dominique,
- la Guadeloupe (Marie-Galante, la Désirade et les Saintes),
- Îles Vierges Britanniques,
- Îles Vierges Américaines,
- Porto-Rico,
- Montserrat,
- Saba,
- Saint-Barthélemy,
- Saint-Martin,
- Saint-Eustache,
- Saint-Christophe-et-Niévès
1494 : Découverte de la Jamaïque par Christophe Colomb
1498 : Découverte de Trinidad-et-Tobago
1499 : Découverte de Sainte-Lucie par Juan de la Cosa (?)
1499 : Découverte par Alonso de Ojeda
- Martinique par Alonso de Ojeda (?),
- Aruba par Alonso de Ojeda,
- Curaçao par Alonso de Ojeda
1499 : Découverte de Bonaire par Alonso de Ojeda et Amerigo Vespucci
1502 : Découverte par Christophe Colomb
- La Martinique,
- Sainte-Lucie,
- Saint-Vincent et les Grenadines
1503 : Découverte des Îles Caïmans par Christophe Colomb
1512 : Découverte des îles Turques-et-Caïques par Juan Ponce de León
1536 : Découverte de la Barbade par Pedro a Campos qui était en route pour le Brésil
Après la découverte des îles, les Européens se lancent dans une course folle pour acquérir le plus de territoires possible. Les guerres sont nombreuses à tel point que certaines îles changeront plus d’une vingtaine de fois de « propriétaires » !
Colonisation des îles de la Caraïbe par les puissances européennes
1496 : Les Espagnols mettent en place des installations sur l’île de Saint-Domingue
1508 : Les Espagnols mettent en place des installations à Porto-Rico
1515 : Les Espagnols mettent en place des installations à Cuba
1554 : Les Hollandais pillent Santiago à Cuba
1555 : Les Français pillent la Havane
1586 : Saint-Domingue est rendue aux Britanniques
1595 : Les Britanniques s’emparent de San Juan
1605 : Les Britanniques chassent les Hollandais de Sainte-Lucie qui étaient arrivés vers 1600
1625 : Les Britanniques débarquent à Barbade dans le but de coloniser l’île
1628 : Les Hollandais capturent la flotte espagnole d’argent à Cuba
1634 : Les Hollandais s’emparent de Curaçao
1635 : Les Français acquièrent la Martinique et la Guadeloupe
1655 : Les Britanniques s’emparent de la Jamaïque aux dépends de l’Espagne
1655 : Les Français occupent une moitié de l’île de Saint-Domingue qu’ils baptisent Haïti
1797 : Trinidad est ravie aux Espagnols par les Britanniques après environ un siècle de possession espagnole.
Colonisation et esclavage
L’exploitation des sols de ces petites îles fertiles est vue comme un gage de richesse dans le commerce de produits tels que le café, le cacao, le sucre de canne, le rhum.
Une fois arrivés dans les îles dans le but de conquérir le territoire et mettre en place des cultures exportatrices, les colons devaient faire face à de rudes oppositions des Caraïbes. Bien que disposant d’armes obsolètes comparés aux Européens, ils leur faisaient face et cela donnait lieu à de rudes batailles qui firent de nombreuses victimes dans les deux camps. De plus, l’adaptation au climat, à l’environnement et à une nourriture complètement différente de celle qu’ils consommaient sur leurs terres d’origine accroit les difficultés des européens à s’approprier pleinement le territoire et s’y installer.
Afin d’exploiter les sols, les monarchies britanniques, espagnols, hollandais et français pensent d’abord à réduire à l’esclavage les Caraïbes et Arawaks vivants dans les îles. Mais cette solution n’est guère simple. Les Caraïbes refusent de soumettre et opposent une farouche résistance, préférant même le suicide à être esclave de l’ennemi. Progressivement, les Caraïbes sont exterminés des différentes îles. Une autre solution est de proposer des contrats d’une durée déterminée à des engagés venus d’Europe pour exploiter les terres. Mais cette solution est temporaire et trop coûteuse pour en tirer un profit maximal.
La dernière sera la plus rentable. Faire venir d’Afrique des hommes déjà rodés au climat tropical qui seraient esclaves et travailleraient sans aucune contrepartie. C’est ainsi que se mettra en place le commerce triangulaire de l’esclavage. Pendant plus de trois siècles, près de 9 millions (selon Patrick Manning, historien américain) d'hommes, femmes et enfants venus d'Afrique seront réduits à l'esclavage dans les champs de tabac, café, cacao, canne à sucre et bananes. Le nombre de victimes seraient cependant de près de 112 millions d'hommes (morts avant la vente dans les barracons où ils étaient parqués sur le port, au cours du transport, morts dans les champs, etc...).
Les voyages commençaient sur les ports européens où les Européens embarquaient des pacotilles qu'ils vendaient en Afrique en échange d'esclaves. En échange, ils ramenaient des hommes de constitution solide qui seraient capables de travailler dans les champs pour fabriquer des produits agricoles voués au marché européen. Une fois arrivés dans les différentes îles, les esclaves étaient vendus aux planteurs et se voyaient ensuite attribuer une tâche dans les champs. Deux types d'esclaves existaient : les « esclaves des champs » et les « esclaves de maison ».
Les premiers travaillaient pendant des heures continues quelque soit les conditions climatiques dans les champs. Ils s'occupaient de la récolte des produits voués à l'exportation en Europe. Les « esclaves de maison » étaient généralement des femmes. Proches des femmes des maîtres, elles devaient s'atteler à l'entretien de la maison principale, l'éducation et les soins apportés aux enfants. L'esclavage était régi dans toutes les colonies par un ensemble de textes appelé le Code Noir.
En cas de rébellion, ils étaient durement châtiés. Les humiliations publiques telles que les coups de fouets sur corps nus et en public étaient légion. Nous traiterons de deux révoltes d'esclaves ici : Celle de la Guerre Baptiste en Jamaïque et celle de la Révolution de Haïti en 1802 qui conduira à l'indépendance de l'île.
La Guerre Baptiste de la Jamaïque en 1830
Débutée par une protestation pacifique, la « Guerre Baptiste de la Jamaïque », connue comme étant la plus forte révolte d'esclaves des colonies caribéennes britanniques, a pris fin avec un soulèvement sanglant et la mort de plus de 600 esclaves. Inspiré par les mouvements abolitionnistes en Grande-Bretagne, le jour de Noël 1831, de 60.000 de 300.000 (selon les chiffres) esclaves de la Jamaïque entament une grève générale. Sous la direction d'un pasteur baptiste et esclave du nom de Samuel Sharpe, les esclaves jurent de ne pas retourner au travail jusqu'à ce qu'ils aient reçu des libertés fondamentales et un salaire décent.
Alors que les rumeurs se répandent que les colons britanniques prévoient d'utiliser la force pour mettre fin à la grève, la protestation se transforme alors en une rébellion ouverte. Dans ce qui est devenu la plus grande révolte d'esclaves dans l'histoire des Antilles Britanniques, les esclaves brûlent et pillent des plantations pendant plusieurs jours, provoquant près de 1,1 million de dollars en dommage et intérêts. Le bilan humain est beaucoup plus sévère. Au moment où l'armée coloniale britannique mobilisée s'interposa à la révolte, jusqu'à 300 esclaves et 14 blancs avaient été tués. 300 autres esclaves, y compris le chef de file, Sharpe sont par la suite pendus pour leur implication dans le soulèvement. Bien que les tensions soient retombées, les effets de la guerre Baptiste ont finalement été ressentis jusque de l'autre côté de l'Atlantique. Un an plus tard, le Parlement britannique allait une fois pour toute, abolir l'esclavage dans l'Empire britannique.
La Guerre d'Indépendance de Haïti en 1802
La révolte d'esclaves la plus réussie dans l'histoire, la Révolution haïtienne a commencé par une révolte d'esclaves et a fini avec la création d'un État indépendant. L'insurrection principale commence en 1791 dans la précieuse colonie française de Saint-Domingue. Précieuse car à l'époque, Saint-Domingue était la « mine d'or » de l'empire colonial français en tant que premier producteur mondial de sucre (plus que toutes les colonies anglaises réunies !). Inspirés en partie par la philosophie égalitaire de la Révolution française et les idées des Lumières, les esclaves noirs lancent une rébellion organisée, tuant des milliers de Blancs et brûlant des plantations de sucre en chemin pour prendre le contrôle des régions du nord de Saint-Domingue.
Les troubles se poursuivront jusqu'à Février 1794, lorsque le gouvernement français abolit officiellement l'esclavage sous toutes ses territoires. Le général rebelle célèbre Toussaint Louverture a ensuite rejoint les forces françaises avec les républicains et en 1801 avait lui-même établi comme gouverneur de l'île. Mais lorsque les forces impériales de Napoléon Bonaparte capturent Louverture en 1802 et tentent de rétablir l'esclavage, les anciens esclaves prennent à nouveau les armes. Dirigée par Jean-Jacques Dessalines, en 1803 ils défont les forces françaises à la bataille de Vertières (voir illustration ci-contre).
L'année suivante, les anciens esclaves ont déclaré leur indépendance et ont établi l'île comme la nouvelle république d'Haïti. Ce fut la première rébellion réussie, la seule révolte d'esclaves dans l'histoire avec à la fin, la fondation d'un nouveau pays a continué à inspirer d'innombrables autres révoltes travers les États-Unis et les Caraïbes.