La Martinique durant la Première Guerre Mondiale

La Première Guerre Mondiale arrive dans un contexte de grand chamboulement politique et économique en Martinique. Encore marquée par l'éruption de la Montagne Pelée qui avait fait près de 32 000 victimes et vue sa capitale, Saint-Pierre détruite, Fort-de-France devint le chef-lieu de l'île. Elle avait du accueillir les nombreux sinistrés et assurer la continuité économique.

La Martinique en pleine mutation

Un contexte social tendu

L'île était peuplée alors par 184 004 habitants d'après le recensement d'octobre 1910. Dix ans plus tôt, l'île avait été frappée par par diverses grèves générales et mouvements sociaux. La canne à sucre représentait la première activité économique. Le sucre de canne colonial affrontait une forte concurrence de celui fabriqué à base de betteraves et les colonies antillaises françaises n'étaient plus que des producteurs de sucre d'appoint. A l'époque, l'industrie sucrière était le premier secteur d'emploi en Martinique.

Les 7 et 8 janvier 1900 des ouvriers agricoles travaillant dans les plantations de canne à sucre du Nord Atlantique se mettent en grève pour réclamer une revalorisation salariale suite à forte baisse de leur pouvoir d'achat. Insatisfait des solutions proposées par le patronat, s'en suit une grève générale en février 1900.

Ce premier fort mouvement social a été baptisé « Fourmies colonial » du fait de son ampleur et de son caractère meurtrier.

Le 2 février 1900, la tension remontait d'un cran et à partie du 5, s'étend dans diverses communes : Marigot, Sainte-Marie, Lorrain, Lamentin, Trinité, Basse-Pointe et Robert.

Le 8 février, les grévistes font front devant l'usine du François à des gendarmes qui tirent tuant dix grévistes et en blessant douze autres. Cette manifestation s'achevait dans un bain de sang et eut un retentissement international.

Les besoins de sucre de canne s'amenuisèrent face à la production de sucre de betteraves et il fallait attendre 1908 pour que les sucriers martiniquais retrouvent le sourire avec un regain de demande de sucre de canne et de son coût. Cela allait enfoncer la Martinique dans la monoculture ce qui justement avait été son point faible jusque là. La prise de conscience aurait lieu cependant et la Martinique allait se mettre à produire de l'ananas et de la banane vouées à l'exportation.

Une nouvelle grève générale allait frapper l'île en 1905 mais serait beaucoup plus courte. Les ouvriers entendaient mettre la pression sur le patronat cette fois avec l'aide de syndicats d'ouvriers de la canne à sucre.

Le syndicalisme des ouvriers de la canne à sucre allait arriver en 1900 mais l'ancrage communal de ces derniers serait fortement pénalisant. Plus organisés, les syndicats foyalais « professionnels » de la métallurgie, du bâtiment, les typographes ou encore les cordonniers, étiquetés socialistes allaient contribuer à répandre la parole socialiste dans l'île.

Une scène politique sans cesse chamboulée

Administrativement, la Martinique était divisée en 2 arrondissements, 9 cantons et 31 communes. Elle était administrée par un Gouverneur représentant le gouvernement français dans la colonie. Ses fonctions sont importantes et nombreuses. Il était assisté d'un secrétaire général, d'un producteur général et d'un commandant supérieur des troupes.

Deux chambres étaient chargées de la bonne marche de la colonie : le Conseil Général avec un rôle primordial et le Conseil Privé. Le Conseil Général jouait un rôle très important car il décidait du développement de la colonie et prenait d'importantes décisions. Le Conseil Privé n'avait qu'un simple rôle juridique (consultation en cas de contentieux administratif).

La sphère politique était très agitée à l'époque et les campagnes électorales étaient parfois violentes, basées sur des malversations, fraudes, pugilats, duels entre candidats. Elle était dominée à l'époque par les Républicains radicaux, généralement des mulâtres cimentés par l'héritage schœlchériste et le Parti Républicain Progressiste Martiniquais ou encore le Parti Nouveau emmené par Fernand Clerc, un puissant usinier béké, qui signifiait le retour des Blancs Créoles dans l'arène politique qu'ils avait déserté depuis la restauration de la République.

En ralliant quelques mulâtres comme Osman Duquesnay, Clerc brisa le « Front des Républicains de couleur » divisés entre Deprogistes et Hurardistes et profita pour faire et défaire les alliances lors des différentes échéances électorales. François Clerc et ses alliés allaient connaître des victoires importantes lors des municipales de 1904 et 1908, cette dernière qui connaîtrait l'assassinat du Maire de Fort-de-France, Antoine Siger.

Joseph LagrosillièreUne troisième force politique allait émerger portée par Joseph Lagrosillière, un mulâtre, avocat allait porter les couleurs socialistes dans la ville de Saint-Pierre avant de partir pour Saint-Pierre-et-Miquelon pendant 4 ans. En 1906, il revient en Martinique et place le Parti Socialiste dans une position dominante sur la scène politique locale.

Plus tard, il scellerait une alliance avec les Radicaux alors en perte de vitesse sous la bannière de l'Entente Républicaine. Cette formation allait remporter les élections législatives de 1910 avec la victoire de Victor Sévère dans le sud et de Joseph Lagrosillière dans le nord.

Cette Entente n'allait pas durer, chaque parti qui le composait estimait que l'alliance profitait davantage à l'un ou l'autre. Ces dissidences allaient éclater au grand jour en 1912, Victor Sévère refusait l'union pour les élections de 1912 alors qu'Amédée Knight, ancien maire de Saint-Pierre allait maintenir l'Entente. Cette scission allait provoquer un autre coup de théâtre politique, Fernand Clerc rejoignant Victor Sévère.

Ils allaient ainsi se partager la part du gâteau lors des législatives de 1914. Joseph Lagrosillère allait persister dans l'Entente avec comme principal souci de renouer ses relations avec la S.F.I.O.. En Juillet 1913, il démissionne de leur groupe parlementaire protestant contre leur absence de soutien aux « idées d'émancipation et d'assimilation progressive des indigènes des colonies qui constituent la traction même de la France révolutionnaire. » En effet depuis 1874, la Martinique et la Guadeloupe luttaient pour changer de statut passant de colonie à celui de département français.

Contexte militaire

Du côté de la Martinique pour assurer la défense de l'île il existait une compagnie d'infanterie coloniale, une batterie d'artillerie et services auxiliaires. Les troupes étaient placées sous le commandement d'un lieutenant colonel d'infanterie coloniale, commandant supérieur des troupes du groupe des Antilles, qui avait sous ses ordres le directeur du service de santé, le directeur de l'artillerie et sous-intendant militaire et le directeur de l'intendance.

Fort DesaixL'île possédait de nombreux points de défense dont plusieurs forts équipés de canons tels le fort Saint-Louis, le fort Desaix (photo ci-contre), le Fort Tartension et des batteries à la Pointe des Nègres et celle de la Vierge.

L'existence de ces contingents quasi-métropolitains dans la colonie permettait d'accentuer la présence de la France. Ils étaient là pour maintenir l'ordre et assurer la sécurité des biens et des personnes. Si la proportion de Martiniquais était aussi faible dans l'armée c'était simplement parce que le service militaire n'existait pas dans les colonies malgré la forte revendication des hommes politiques. Ces derniers avaient toujours réclamé le droit d'effectuer le service militaire et de payer l'impôt du sang, symboles d'un assimilation intégrale.

Quand les lois militaires de 1889 à 1912, les nombreuses lois militaires qui avaient vu le jour en métropole n'avaient pas été appliquées aux colonies pour des raisons financières et organisationnelles. L'autre raison majeure était que les békés s'y opposaient énergiquement craignant leur sécurité et rejetaient l'idée de se retrouver dans les chambres avec les Noirs. Économiquement, aussi car le service militaire les priverait d'une main-d'œuvre importante, l'immigration des « Koulis » avait été arrêtée en 1885.

Si les Martiniquais tenaient tant à effectuer leur service militaire, c'est parce qu'ils voyaient en l'armée une école d'égalité où tous peu importe leur couleur de peau, leur origine, leur niveau de richesse pourraient être soumis à la même discipline, astreintes aux mêmes obligations et traités de la même façon. De plus, le service militaire dans les colonies c'était aussi reconnaître les ultramarins comme des citoyens français à part entière et faisant partie de la nation française.

Pour les politiques, refuser aux Martiniquais de verser leur sang pour la Mère-Patrie signifiait que la France ne les considérait pas comme de vrais Français.

Début de la Guerre

Causes du conflit

François Ferdinand d'Autriche assassinéLes causes de la guerre sont nombreuses. Elles sont aussi bien politiques, économiques, sociales. La cause directe c'est l'assassinat du prince héritier François-Ferdinand d'Autriche-Est en Serbie le 28 juin 1914. Alors que les tensions sont nombreuses entre la double-monarchie, l'Autriche-Hongrie et la Serbie, les puissances européennes s'unissent dans deux grands blocs qui sont la Triple-Alliance ou Triplice et la Triple-Entente.

La Triple-Alliance comptait l'Empire allemand, l'Empire d'Autriche-Hongrie et le Royaume d'Italie alors que la Triple-Entente comptait la France, le Royaume-Uni et la Russie impériale. La Serbie et le Monténégro étaient alliés de la Russie.

Triple Alliance et Triple EntenteD'un côté, la France voulait sa revanche vis-à-vis de l'Allemagne après la perte de l'Alsace-Lorraine lors de la Guerre de 1870. Ils avaient recentrés toute leur énergie sur leur empire colonial mais se tenaient prêts pour affronter les Allemands et récupérer la région qui faisait jadis partie de la France.

Les Allemands eux par l'intermédiaire de leur chancelier impérial allemand Otto von Bismarck, l'un des plus puissants en Europe jalousaient secrètement la France et le Royaume-Uni qui se « partageait l'Afrique ». Eux aussi aspiraient à une part du gâteau sans pour autant froisser les Britanniques. Après l'annexion de l'Alsace-Lorraine, Les Russes quant à eux jouaient un rôle prédominant dans les Balkans et l'Autriche-Hongrie, alors puissant empire refusaient les ambitions russes dans la zone. C'est ainsi que les Austro-Hongrois s'unissent à l'Allemagne pour les protéger dans la zone, rompant toute relation diplomatique avec la France.

Quand en 1881, la France s'empare de la Tunisie ancienne colonie italienne, ces derniers s'unissent avec les Allemands et les Austro-Hongrois. La Triple-Entente s'est créée dans des accords bilatéraux entre la France et la Russie, la France et le Royaume-Uni puis la Russie et le Royaume-Uni. Ces tensions amènent chaque pays à se tenir prêt en cas de conflit.

Le point culminant de la guerre sera l'assassinat du Prince héritier d'Autriche François-Ferdinand et son épouse par un nationaliste serbe marque le début de la guerre le 28 juin 1914. Le 23 juillet, l'Autriche-Hongrie estime que la Serbie a orchestré le double assassinat et cinq jour plus tard le double empire leur déclare la guerre. Le 30 juillet, la Russie, alliée de la Serbie décrète la mobilisation générale.

L'Autriche-Hongrie décrète à son tour la mobilisation générale le 31 juillet.

Le 1er août, la France et l'Allemagne se mobilisent. Le 2 Août, l'Allemagne envahit le Luxembourg et remet un ultimatum à la Belgique. Le lendemain, ils déclarent la guerre à la France et la Belgique qui a rejeté l'ultimatum allemand.

Le 6 août l'Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Russie. Du 7 au 10 août, la France tente de récupérer l'Alsace et la Lorraine.

Les 11 et 12 août la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à l'Autriche-Hongrie. Après avoir pénétré à Bruxelles le 20 août, ils arrivent en France deux jours après. C'est le début de la guerre du côté des troupes françaises.

La Martinique rentre en guerre

La mobilisation sur place

Mobilisation pour la Grande Guerre en MartiniqueQuand la France demande l'ordre de mobilisation à ses troupes métropolitaines le 1er août, l'information arrive dès le lendemain dans les Antilles Françaises. En Martinique, l'appel est reçu favorablement et beaucoup d'hommes se sentent prêts à aller défendre la mère-patrie et l'aider à prendre sa revanche après la perte de l'Alsace-Lorraine. De nombreuses manifestations patriotiques ont lieu dans certaines communes et à Fort-de-France.

Les hommes politiques de l'époque dans un moment où l'assimilation totale à la France était prônée encouragent à répondre favorablement à cette appel venant de la métropole.

Le service militaire qui n'était pas en place jusque là est instauré en 1913 pour tous les hommes et pendant 3 ans. Ainsi, les hommes martiniquais qui partaient étaient en retard de formation sur les Français qui eux étaient formés via le service militaire mis en place depuis plusieurs décennies. Ils ne savaient même pas tenir une arme à leur départ pour la métropole. Ils étaient bien souvent mal vus de l'état-major français à qui ils ont été imposés. C'est vers la fin de la guerre qu'ils seront mieux considérés en raison de la durée de la guerre.

Le recrutement était effectué par le Conseil de révision qui suite au recensement pratiqué dans chaque commune convoquait tous les jeunes en âge de combattre, à savoir de 20 à 35 ans. À noter qu'il n'était pas possible de renoncer de rendre à la convocation. Celui qui s'y prenait risquait d'être incarcéré en prison. Même s'ils seraient exemptés la présentation devant le Conseil de révision était obligatoire.

Un examen médical était effectué pour savoir si ils étaient aptes à combattre et quand ils étaient aptes, ils étaient déclaré BSA (Bon Service Armée). Ceux qui n'étaient pas retenu n'obtenaient qu'un sursis et effectuaient un métier qui nécessitait leur maintien dans la colonie. Après avoir été retenu, le soldat était formé pendant 2 mois à la campagne où à la Place de la Savane où il apprenait à faire des tranchées.

Cette courte formation desservait considérablement le martiniquais vite jugé comme peu performant, peu résistant et souvent malade. A noter que beaucoup de jeunes ont été inaptes par le Conseil de révision alors qu'ils ne l'étaient pas. Cette institution qui comptait en son sein des proches des grands industriels truquaient les résultats pour conserver de la main d'œuvre dans l'île.

La première mobilisation de 1914 ne concernait pas les Martiniquais cependant mais uniquement les troupes de métropole. Les premiers conscrits en Martinique après la déclaration de mobilisation le furent à partir d'avril 2015 bien que des Martiniquais étaient déjà en métropole. Ce départ tardif s'explique par le fait que personne à l'époque ne pensait que la guerre durerait plus de trois mois et qu'il n'apparaissait pas opportun de faire venir des forces des colonies pour une période si courte.

De plus, ceux qui étaient déjà partis souffraient terriblement du froid et la formation sommaire qu'ils avaient reçu n'incitaient pas à un départ. La convocation était obligatoire pour tous les hommes âgés entre 19 et 45 ans et un refus pouvait entraîner une peine de prison. Si peu ont choisi de refuser la mobilisation, pour y échapper, ils ont fui vers d'autres îles de la Caraïbe ou sinon reconnu plus de 5 enfants, condition qui pouvait empêcher d'être envoyé en métropole.

En effet, la mobilisation ne concernait ni les personnes malades, ni les pères qui avaient plus de 5 enfants, ni certaines personnes retenues par les industriels. Cependant, ceux qui partaient étaient heureux car ils fuyaient la misère et avaient l'occasion de voyager et découvrir Paris.

Mémorial de guerre à Fonds-Saint-DenisLes hommes politiques de l'époque, fervents défenseurs de l'assimilation totale à la France affichent leur fierté de voir l'île autant mobilisée et se vantaient fièrement d'être la colonie qui avait fourni le plus de soldats à la France. Ainsi Jules Monnerot un dirigeant socialiste dans son Bulletin d'Histoire déclarait :

Ainsi la Martinique et toutes les vieilles terres terres françaises dont on refusait trop dédaigneusement le concours dans l'œuvre de la Défense Nationale vont avoir le suprême honneur de contribuer, comme toutes les parties de la France républicaine, à repousser l'envahisseur.

La Martinique avait finalement obtenu le droit de payer « l'impôt du sang » ce que les élus réclamaient depuis plus de 20 ans.

En effet, un vrai dispositif de recrutement avait été mis en place. Dans chaque commune, on procédait à un recensement de la population masculine âgée entre 20 et 35 ans. Ils étaient ensuite convoqués pour un examen médical appelé la révision. Suite à cela, ils étaient soit déclarés aptes (BSA c'est à dire Bon Service Armée), les recalés étaient renvoyés chez eux et troisième option certains obtenaient un sursis s'ils exerçaient une formation qui nécessitait leur maintien dans l'île.

Ceux qui étaient admis, étaient souvent maigres car beaucoup de Martiniquais souffraient de malnutrition à l'époque. Ils étaient formés dans les campagnes où on leur apprenait à créer des tranchées et les conditions de combat et de survie dans celles-ci.

Beaucoup réussirent à être exemptés de mobilisation sous la pression des Békés qui n'auraient pas eu suffisamment de main-d'œuvre dans les champs alors que le rhum et le sucre étaient en forte demande durant la guerre. Ainsi, il est estimé que seuls 18% des hommes « mobilisables » ont été recrutés.

Au total près de 9 000 Martiniquais furent mobilisés et plusieurs milliers supplémentaires auraient pu être mobilisés si les tests du Conseil de révision n'avaient pas été trafiqués pour garder des hommes dans l'île.

La Martinique durant la Première Guerre Mondiale

Les soldats martiniquais arrivent en métropole

Suite à l'appel à la mobilisation, les premiers soldats arrivent en Avril 1915 alors que la guerre avait déjà commencé depuis une année. Ils y retrouveront d'autres martiniquais qui se trouvaient déjà sur le sol métropolitain pour y effectuer leur service militaire en 1913.

À noter que des Békés également ont fait partie des jeunes hommes mobilisés et que ces derniers sont également partis dans les tranchées. Cependant ils ont été plus souvent exempts en raison de leur qualité de chef d'entreprise qui faisait qu'il était nécessaire qu'ils soient présent en Martinique.

Dans un premier temps, les forces mobilisées en Martinique étaient plus vues comme une réserve qui viendrait si besoin, d'où le fait que les Martiniquais ne soient arrivés qu'un an après le début de la guerre car personne en métropole n'imaginait que la guerre durerait aussi longtemps.

Une fois arrivés en France, les soldats martiniquais étaient affectés dans le sud de l'hexagone ou le nord de l'Afrique pour poursuivre leur formation. Ensuite, ils étaient placés dans des régions plus chaudes pour combattre dans des conditions climatiques plus proches du climat tropical. Tout a été fait pour qu'ils partent au printemps ou en été et pas en hiver car ceux déjà sur place ne supportaient pas le froid.

Ils étaient intégrés dans des unités avec d'autres soldats français de métropole. Il n'existait pas un bataillon ultramarin. Cela s'explique par le fait qu'ils étaient des citoyens français et qu'aucune distinction n'était faite entre les Français de métropole et ceux des colonies.

Dès lors qu'ils étaient affectés, les difficultés commençaient pour les soldats. De leurs supérieurs, ils ressentaient qu'ils n'étaient pas désirés, cela était dû à leur condition physique insuffisante causée par la pénurie de produits alimentaires que la Martinique connaissait avant leur départ mais surtout en raison de leur manque de formation. Ils étaient aussi souvent de piètres soldats n'ayant pas bénéficié d'une formation suffisamment longue comparés aux soldats de métropole qui avaient été formés depuis près de 3 ans. Certains auraient subi des sévices et des brimades de leur hiérarchie.

De la population qui « découvrait » les Noirs ils suscitaient l'étonnement.

Les conditions de vie dans les tranchées

Les conditions de vie dans les tranchées sont déplorables. Les soldats alternent entre longues périodes d'ennui et de brefs moments de terreur. Constamment, ils doivent rester sur leurs gardes car la mort guette et l'ennemi ne prévient pas du moment où il attaquera.

Les rats et les poux sont le quotidien des soldats. Les rats étaient attirés par la nourriture qui s'y trouvait et leur présence contribua à répandre des maladies. Les poux gâchaient les moments où les soldats pouvaient enfin trouver le sommeil. Ces derniers auraient été identifiés comme étant la cause de la fièvre que l'on retrouvait dans les tranchées.

L'état d'insalubrité et les conditions climatiques faisaient que les maladies étaient fréquentes. Les engelures liées au froid pouvaient causer des gangrènes et la seule solution s'avérait être l'amputation.

Les journées des soldats commençaient dès l'aurore quand ils étaient réveillés au cri de « branle-bas de combat » pour assurer la garde des tranchées. Les attaques avaient généralement lieu le matin. S'il n'y avait pas d'attaque, il pouvait alors se rassembler pour des inspections et obtenir leur déjeuner leur ration quotidienne de rhum.

Par la suite, ils devaient s'atteler à des corvées telles que le nettoyage, le remplissage des sacs de sable présents dans les tranchées. Ils passaient l'essentiel de leur journée dans les tranchées pour éviter d'être pris pour cible par un ennemi qui rôde dans le coin. Seule la nuit quand tout était paisible ils sortaient enfin des tranchées pour réparer des barbelés et... construire de nouvelles tranchées.

Ils bénéficiaient de temps libre de jour comme de nuit pour s'adonner à leurs loisirs. Il fallait juste que les tâches qui leurs avaient été assignées soient faites. Leurs loisirs étaient principalement la lecture, les jeux de hasard ou encore la rédaction de leur journal intime ou de courrier.

En effet, les courriers étaient le seul moyen pour eux de rester en contact avec leurs familles restées en Martinique et ils leur écrivaient fréquemment pour les maintenir informés de leur vie nouvelle à des milliers de kilomètres. Cependant les courriers ne parvenaient toujours pas aux destinataires. Si certaines lettres étaient lues en public ou publiées dans la presse, l'état de censure était maximal et les courriers trop déprimants étaient écartés.

La Martinique durant la Seconde Guerre Mondiale

Les pénuries alimentaires

Durant la Seconde Guerre Mondiale, la vie était très difficile. L'île qui avait consacré l'essentiel de ses surfaces agraires à la culture de produit d'exportation, principalement la canne à sucre, manquait de produits vivriers. De plus, les bateaux de nourriture venant de métropole étaient devenus rares. Les portions alimentaires sont donc limitées et de nombreux Martiniquais souffrent de sous-nutrition.

La morue qui constituait un élément de base de l'alimentation connaît des difficultés d'acheminement en raison du faible nombre de rotations maritimes. La France qui était le principal fournisseur de la Martinique ne peut pas se permettre de partager ses ressources alimentaires vu les conditions extrêmes sur son territoire.

Les augmentations de prix sont inévitables. Les produits de consommation courante comme le pain ou le sucre voient leur prix doubler. D'après le Bulletin d'Histoire :

Le sucre de huit sous est monté à seize... la morue n'a pas baissé, la viande est hors de prix pour les pauvres et voilà que le poisson se fait cher, faute de pêcheurs lesquels ont été mobilisés en assez grand nombre.

Dans toute l'île de la Martinique existait une situation de pénurie, en particulier à Fort-de-France et dans certains bourgs ruraux mal reliés au chef-lieu.

Cependant la pénurie était maîtrisée car il existait des réserves de nourriture. Dès le début de la guerre en Europe, le Gouverneur prend des mesures afin de rationner les denrées en se les accaparant et en fixant des prix maximum pour empêcher toute augmentation des prix.

Le Ministre des Colonies avait pris des mesures pour que l'approvisionnement se poursuive malgré la guerre car en cas de rupture la spéculation aurait pu provoquer une forte augmentation des prix. Mais c'est aussi dans un souci de paix sociale. Il pensait qu'en cas de manque de nourriture, les tensions sociales apparaissent alors qu'il était nécessaire que les population reste mobilisée.

L'approvisionnement fonctionne bien et tout est mis en œuvre pour que la population puisse recevoir des aliments à des frais raisonnables. Aussi en 1916, le Gouverneur n'hésita pas à intervenir pour empêcher toute spéculation sur les prix de la morue, des poissons salés ou encore des bœufs.

En juin 1917, il reconnaissait la pénurie liée au « ralentissement du transport et au prix élevé du fret » qui était grandement due au fait que les États-Unis qui étaient l'un des plus grands fournisseurs de la Martinique durant la guerre, entraient également en guerre.

La farine, très demandée est alors réquisitionnée dans les magasins et d'autres produits ont été rationnés.

Par la suite, il parut évident qu'il était nécessaire de multiplier les cultures maraîchères mais les autorités pourraient-elles compter sur les riches propriétaires terriens qui connaissaient leurs heures de gloire grâce aux ventes de rhum et de sucre ? Ils en doutaient. C'est ainsi qu'ils ont du se rabattre sur les terrains domaniaux et les jardins d'essais pour tenter la culture de pois, haricots blancs et rose, les pommes de terre. Les autres solutions ont été de verser des primes aux petits agriculteurs pour cultiver des fruits et des légumes et enfin de subventionner le Crédit Agricole qui s'engageait à accorder des prêts à long terme afin de favoriser la production de cultures vivrières.

Tous ces efforts ne seront hélas pas concluants en raison du manque de main-d'œuvre, les hommes étant en grande partie engagés dans la guerre en métropole, les vols de nourriture, la faible rentabilité de ces cultures secondaires et le peu de terres qui ont finalement été consacrées à ce projet.

La vie locale durant la guerre

Les femmes « restées au pays » se mobilisent et jouent le rôle de soutien à leurs maris, fiancés, frères, cousins qui combattent les ennemis en Europe. Elles organisent des manifestations pour faire des collectes d'argent qu'elles leur feraient parvenir, elles les réconfortent en leur envoyant des courriers et autres douceurs locales. Face au manque de main-d'œuvre disponible car beaucoup d'hommes étaient engagés à la guerre, elles seront sollicitées pour rejoindre les hommes restés dans l'île pour les travaux des champs

Malgré les bénéfices colossaux des planteurs, les salaires des ouvriers agricoles n'augmentent pas, le coût de la vie, lui avait augmenté mais malgré cela au nom de l'union sacrée ils ne se mettent pas en grève. Certaines professions n'auront pas la même patience et c'est ainsi que les dockers et gabariers vont se mettre en grève en 1917 obligeant le Gouverneur à recourir à l'armée pour décharger les bateaux de marchandise. Cependant les grèves seront sommes toutes rares considérant les conditions des travailleurs actuels.

Sur place, c'est l'union sacrée qui est prônée et l'île ne connaîtra aucun conflit social ou politique majeur.

Le carnaval et les fêtes patronales sont interdits. À la place il y a des fêtes patriotiques, le but étant que la population locale se rallie sans défaillance à l'amour de la nation et intègre pleinement la cause de la France en guerre.

Bilan de la guerre et conséquences en Martinique

Alors que la guerre bat encore son plein en Europe, les premiers soldats reviennent en Martinique traumatisés par les horreurs de la guerre dès 1917. Pour eux, il est hors de question de retourner en Europe si on venait à faire appel à eux à nouveau.

Au total, Sabine Andrivon-Milton historienne martiniquaise qui a fait des recherches sur les anciens combattants de la Grande Guerre a pu identifier 2 000 morts sur les 9 000 partis faire la guerre. Les recherches continuent pour retrouver tous les participants martiniquais à cette guerre et leur sort à l'issue de celle-ci. Le nombre de blessés reste encore une grande inconnue car ils n'ont été ni identifiés, ni comptés au sortir de la guerre.

À la signature de l'armistice en 1918, les soldats martiniquais sont considérés comme des héros nationaux. Des manifestations patriotiques ont lieu et ils sont mis à l'honneur, présentés à la foule comme des héros. En tant que vétérans ils auront droit à des avantages tels que leur céder le trottoir, des priorités pour les sièges dans les transports.

Cependant ils n'obtiennent aucune compensation financière sauf s'ils avaient été blessés. Les blessés obtiennent des (faibles) pensions et la gratuité des soins mais ils ne l'obtenaient qu'après un passage devant une commission et cela prenait du temps. Bien souvent c'était leurs familles qui devaient les prendre en charge et les aider au quotidien. Ceux qui avaient été mutilés ne pouvaient pas retourner dans les champs de canne à sucre pour subvenir à leurs besoins.

Aussi, les combattants sont grandement déçus car ils pensaient que leur sacrifice pour la nation leur rapporterait plus. Au niveau national, des associations d'anciens combattants voient le jour pour rassembler les doléances et les porter aux autorités avec plus ou moins de succès.

Malgré cela, la participation de la Martinique à la Grande Guerre avait renforcé le sentiment patriotique vis-à-vis de la France. Durant toute la guerre, les Martiniquais avaient démontré leur investissement à l'effort demandé pour la patrie. Pour participer à l'effort de guerre, des hommes étaient partis, d'autres étaient restés pour travailler dans les champs et répondre à la demande de rhum et de sucre, les femmes s'étaient également investies.

La guerre faisait que le Martiniquais se sentait Français. Le sentiment d'assimilation à la nation française est plein et entier et les forces politiques qui militaient en ce sens se voient ravies du nouvel élan pour que la Martinique soit pleinement intégrée à la France et devienne un département français. Pour autant cela allait prendre du temps et la Martinique devra attendre Mars 1946 pour passer du statut de colonie à celui de département français.

Conclusion

8 788 soldats martiniquais ont pris part à la Grande Guerre. Et sur ces 8 788 soldats, 1876 n'auront jamais eu la chance de refouler le sol de leur île natale en tombant sur les champs de guerre. Étant des citoyens français, ils étaient pleinement intégrés au sein des bataillons des français métropolitains à la différence des autres soldats venant des autres colonies françaises (Afrique Noire, Maghreb, Indochine, Madagascar).

La volonté de ces engagés était de montrer leur attachement à la mère patrie et de prouver qu'ils étaient des français à part entière quitte à payer « l'impôt du sang ». Cet impôt était proposé dans les colonies (autre que celle des Antilles) et proposait qu'en l'échange de la citoyenneté, des hommes aillent combattre aux côtés des alliés et défendent la France.

Au sortir d'une guerre terrible, longue et éloignée de leur terre d'origine, les soldats martiniquais ont vu les pires atrocités dans les tranchées aux côtés des soldats venus du monde entier. Avec eux ils ont épousé les causes de la nation qu'ils étaient venus défendre. Dès lors qu'ils avaient répondu à l'appel, ils se sentaient pleinement français, un sentiment partagé par la population restée sur place qui travaillait dans des conditions terribles pour aider à la production de rhum dont la ration matinale donnée aux soldats martiniquais était le lien immuable avec leur terre natale.

Bibliographie

France-Antilles du 12 novembre 2014, édition spéciale, La Martinique et la guerre, entretien avec Sabine Andrivon-Milton, historienne

Histoire de la Martinique, de 1848 à 1939, Armand Nicolas