Saint-Pierre : De la gloire à l'explosion

Si vous étiez dans la ville ce matin du 8 mai 1902, vous auriez très certainement ignoré les avertissements d'alerte à l'éruption de la Montagne Pelée.

Qui aurait pu croire que le Petit Paris ou encore le Paris des Antilles, cette ville dynamique réplique de la capitale française, cette puissance coloniale qui s'était développée grâce à son port serait en lambeaux au milieu de la journée ?

Il en est ainsi des 28 000 habitants. Aucun ne pensait que cela était possible ni non plus l'ampleur de la catastrophe.

L'histoire de Saint-Pierre peut s'apparenter à celle du naufrage du Titanic qui a eu lieu 12 ans après l'éruption de la Montagne Pelée. Retour sur l'histoire de Saint-Pierre l'insubmersible devenue un champs de ruine le soir du 8 mai 1902.

La Martinique était peuplée de Caraïbes quand Christophe Colomb a débarqué le 15 juin 1502. Un siècle plus tard, quand les colons français emmenés par Pierre Belain d'Esnambuc débarquent en Martinique le 1er Septembre 1635 ce sont ces mêmes Caraïbes qui sont encore les habitants de l'île.

Martinique séparée en deux vers la fin du 17ème siècleLes Français s'installent aux pieds de la Pelée, dans une zone qui allait jusqu'au Carbet. Ils construisent un fort dans le but de se protéger des menaces extérieures (Hollandais, Anglais, Espagnols qui convoitent et se disputent les îles de la zone) et intérieures (les Caraïbes sont hostiles à ces nouveaux arrivants venus d'Europe). Ils baptisent ce fort Saint-Pierre, fête proche dans le calendrier.

Ce fort leur servira plus tard par deux fois à attaquer les Caraïbes qui menaçaient la relative entente qui régnait dans l'île. La Martinique était séparée en deux parties presqu'égales en terme de surface avec les Colons qui s'installent sur la côte Caraïbe et les Caraïbes installés sur la côte Atlantique (voir carte).

Petit à petit, Saint-Pierre se construit. Des habitations lieu de vie des colons voient le jour, l'église du quartier du Fort voit le jour pour avoir un lieu de culte sur place. Des Jésuites sont appelés dans le but de préserver les traditions chrétiennes et enseigner les préceptes chrétiens aux habitants non-convertis, les Caraïbes.

Un couvent est construit dans le but de les héberger à côté de l'Église du Fort que fréquentait les colons.

Un hôpital sera également construit. Les terres sont séparées entre colons qui y exploitent différentes cultures vouées à l'exportation (café, cacao, canne à sucre) ou au troc (tabac d'abord moyen de troc, ensuite culture vouée à l'exportation).

Les colons européens étaient encouragés à venir s'installer en Martinique. Soit si ils avaient suffisamment de ressources financières et pouvaient acheter une parcelle de terrain ou encore ils venaient en tant qu'engagés pour travailler sur des plantations existantes pour une durée de 3 ans.

A la fin de leur contrat, trois options s'offraient à eux : la première était de rempiler pour trois nouvelles années, la seconde était le retour gratuit vers la métropole et la dernière était d'acheter une parcelle de terrain d'une taille d'environ 25 hectares qu'ils pourraient eux aussi exploiter. Beaucoup ont choisi cette dernière option.

La région de Saint-Pierre devient très vite la zone la plus riche de la Martinique grâce au commerce de sucre et des esclaves. Un port de marchandises est construit afin d'accueillir les navires qui embarqueraient les produits voués à l'exportation et déchargeraient les produits qui viennent de métropole et les esclaves d'Afrique. Des navires du monde entier débarquent et embarquent des produits fabriqués en Martinique.

De la métropole notamment, venaient des produits alimentaires tels le fromage, le vin, les pois, etc..., des matériaux de construction, des hommes qui venaient soit apporter leur expertise dans certains domaines ou encore travailler dans les plantations. De nombreux commerces voient le jour dans la ville qui devient la capitale économique et sociale de la Martinique et à encore une plus grande échelle la capitale de toutes les Antilles Françaises.

Grandeur et gloire de Saint-Pierre du 19ème siècle à la veille de l'éruption

Présentation de la ville à la veille de l'éruption

A la veille de la catastrophe, Saint-Pierre était peuplée par 28.000 habitants (3 000 à 3 500 blancs, 9 000 à 10 000 personnes de couleurs et 15 000 noirs). C'était la plus grande ville de l'île en superficie. Elle se trouvait à 10 km du cratère de la Pelée, de Fort-de-France dont elle était reliée en bateau deux fois par jour. La traversée d'une longueur de 25 km permettait aux deux capitales de l'île, Saint-Pierre, capitale économique et sociale et Fort-de-France, capitale administrative s'effectuait en une heure.

Rivière RoxelaneLa ville, bâtie en amphithéâtre, était un symbole de réussite de la colonisation française. Elle était devenue une fierté, son opulence et sa grandeur étaient remontée jusqu'à Paris. Elle faisait la splendeur de la côte Caraïbe de l'ile. Ses rues et ruelles, 103 au total constituait un réseau de 20 km de routes.

La rivière, la Roxelane la séparait en deux parties presqu'égales : le Mouillage et le Fort. Saint-Pierre était avant l'éruption qualifiée par beaucoup de plus belle ville de la Caraïbe ! Elle était une des villes les plus propres et les agréables du monde entier. Sa renommée et sa splendeur faisaient même des envieux en Europe jaloux de cette nouvelle bourgeoisie coloniale.

Elle était également surnommée, Petit Paris ou Paris des Antilles. De nombreuses fontaines publiques ou celles des particuliers participaient à l'embellissement de la ville. Elle étaient approvisionnées en eau par les sources Morestin située à 7 km de la Montagne Pelée, ou Roxelane. Elle concentrait toute l'activité économique de l'île. Des usines avaient élues domicile à Saint-Pierre ainsi qu'une quinzaine de rhumeries aussi. La Banque de Martinique s'y trouvait. Il y avait aussi une tonnellerie mécanique, une fonderie, de vastes magasins et des entrepôts, deux câbles transatlantiques.

Église du Fort à Saint-PierreSaint-Pierre était également le siège de l'évêché avec pas moins de trois paroisses majeures : la cathédrale Notre-Dame de Bon-Port, le Fort-Saint-Pierre (en photo) et Saint-Étienne du Centre. Trois autres paroisses moins considérables, la Consolation, Sainte-Philomène et les Trois-Ponts étaient également présentes dans la ville qui avait également une dizaine de chapelles.

La cité possédait une cour d'assises, un tribunal de première instance pour les affaires commerciales, deux justices de la paix, la Banque de Martinique et deux autres institutions bancaires : le Crédit foncier colonial, le Trésor.

Côté scolaire, elle abritait plusieurs établissements publics : le séminaire-collège, le lycée, le Pensionnat de Notre-Dame de la Consolation, celui des Demoiselles Dupouy et Rameau et le pensionnat colonial.

Le séminaire-collège participait à la grandeur de la ville. Créé par les évêques de la Martinique, il disposait de ressources exceptionnelles (Diocèse et des ressources personnelles). Il était devenu une pépinière de savants, d'hommes distingués dans toutes les branches de la vie intellectuelle et sociale aux Antilles faisant de la ville une citadelle de science et de piété.

Le lycée était installé dans l'ancien domaine des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Le pensionnat colonial était situé au cœur de la ville. Les religieuses de Saint-Joseph s'étaient installées à la Consolation. Elles continuaient de former les jeunes filles des familles les plus aisées de la Martinique.

La maison qui les accueillaient était très florissante, n'avait rien à envier aux plus grandes écoles de France. Trois hôpitaux s'y trouvaient, l'hospice civil qui comptait 200 lits, la maison coloniale de la santé qui pouvait recueillir 150 aliénés et l'hôpital militaire fondé en 1685 par les Frères de Saint-Jean de Dieu pourvu d'une centaine de lits.

L'asile de Bethléem « Hôtel des Invalides de la colonie » conçu pour la retraite des vieillards et des infirmes était une œuvre de charité exceptionnelle. Un jardin des plantes égayait la ville.

Construit en 1803 par Castelnau d'Auros, il était qualifié d' « une des merveilles du monde » et était une vitrine aussi bien de la flore tropicale que des plantes exotiques. Une cascade jaillissait au milieu de cet ensemble qui laissait des souvenirs mémorables à chaque visiteur qui s'y rendait.

Place Bertin à Saint-Pierre en 1900La ville possédait plusieurs places publiques dont la place Bertin connue dans le monde entier avec sa fontaine, la fontaine Agnès à jet continu. Deux savanes dont celle située au Fort était comparé au Jardin du Luxembourg ou aux Tuileries où les enfants courraient dans tous les sens sous le regard de leurs nounous appelées das.

Théâtre de Saint-Pierre avant l'éruptionDernier édifice mémorable, le théâtre, très ancien, démontrait l’élégance de la ville et n'avait rien à envier aux théâtres des plus grandes villes du monde. L'édifice avait été rénové en 1831. On aurait pu citer le palais épiscopal (ancien couvent des dominicains), le château de Perrinelle (ancien couvent des Jésuites), la caserne de la gendarmerie (ancien couvent des Jésuites), la caserne de gendarmerie (ancien monastère des ursulines), l'hôtel de la chambre de commerce, l'entrepôt des douanes, le presbytère du Fort, la maison Lasserre.

La vie quotidienne des Pierrotains

Les pierrotins avaient une qualité de vie proche de celle dans les grandes villes européennes. Ils vivaient dans une ville équipée d'électricité, un service de téléphone local, un accès aux télégraphes qu'ils envoyaient en Europe, des bureaux et des offices de presses dont le quotidien, Les Colonies. Ils vivaient dans des maisons bâties en très solide maçonnerie avec pour certaines de superbes façades en pierre de taille.

Si l'aspect extérieur des habitations pouvait passer pour simple, l'intérieur rivalisait de beauté, confortable voire même de grand luxe. Saint-Pierre possédait entre autre un service de transports de bus avec des femmes comme conductrices. De nombreux bateaux de taille différente baignaient dans sa baie.

Rue Victor Hugo avant l'éruptionLa rue Victor Hugo alignait les très voyants magasins qui revendaient des articles venus directement de Paris. Les femmes des riches familles de la bourgeoisie pierrotine y allait pour s'acquérir de vêtements dignes de la mode parisienne. Les Américains également avaient des intérêts financiers à Saint-Pierre dans près de la moitié des opérations commerciale à Saint-Pierre.

Les hommes qu'on voyait dans la ville étaient soigneusement « habillés de pantalons blancs de toile et d'immenses chapeau en herbe de bambou. Certains étaient noirs, d'autres avaient d'étranges et belles couleurs : il y a des peaux d'or, de bronze marron ou de bronze rouge. Les femmes portaient des robes de teintes vives, femmes de la couleur de fruit, orange ou couleur banane, les femmes portaient des turbans avec un tel jaune que les barres du ventre d'une guêpe. » écrivait Lafacadio Hearn, écrivain japonais ayant vécu en Martinique pendant 2 ans.

Amédée Knight, ancien sénateur de la MartiniqueParmi les hommes proéminents vivant dans la ville de Saint-Pierre, on peut citer Amédée Knight (en photo), sénateur du Parlement français, Fernand Clerc, un puissant planteur, Maire de Trinité et par la suite Député et Sénateur de la Martinique, Andréus Hurard, chef d'édition du quotidien Les Colonies. Autre présence significative dans la ville, le consul américain Thomas Prentiss et sa femme qui vivaient dans la capitale de la Martinique. Concernant la Pelée, les habitants de Saint-Pierre se l'étaient pleinement appropriée.

Le volcan avait été calme depuis deux générations. Les familles pique-niquaient sur ses pentes, les enfants y jouaient et il était même un refuge lors de puissants ouragans. Les premiers colons l’appelaient « Montagne chauve » en raison de son sommet cerné par une bande de roches stériles. Peu après, elle est devenue Pelé avant qu'un cartographe n'ajoute un nouveau "e" au 17ème siècle et qu'elle devienne Montagne Pelée.

A une altitude de près de 450 m de hauteur par rapport au niveau de la mer, des marchands de Saint-Pierre avaient construit des « villas d'été » et « retraite », des lieux où ils se retranchaient avec leur famille pour échapper à la chaleur estivale. En-dessous d'une altitude de 750 m, les pentes de la Pelée était une image pittoresque de forêts, des champs de canne et de bananes et un groupe de maisons peintes dans des couleurs vives.

Plus haut, dans des températures plus froides, une abondante végétation s'y trouvait et empêchait toute exploitation. Les nombreuses ravines étaient une source d'eau fraîche pour les habitants de la ville de Saint-Pierre et les commune d'alentours. L'eau qui en sortait, servait aussi bien à nettoyer les rues de la ville qui étaient d'une rare propreté qu'aux industries de sucre et de rhum ou encore pour approvisionner les bateaux en transit au port de Saint-Pierre.

La Montagne Pelée était un symbole de joie et de plaisir. Des groupes d'habitants y avaient leurs habitudes et organisaient des randonnées à travers l'extravagance florale de bégonias et balisiers. Des entreprises locales proposaient des excursions dans la montagne, le plus souvent pour célébrer le Lundi de Pentecôte. Ainsi vivait pleinement la population pierrotine à la veille du 20ème siècle et de mai 1902, mois de l'éruption de la Montagne Pelée.

L’éruption de la Montagne Pelée

Signes précurseurs : « la veille d'éruption »

Vue de la baie de Saint-Pierre en 1900Les changements de la Montagne Pelée furent longs à prendre effet. Ils se sont déroulés à un rythme progressif. En Décembre 1901, il y avait bien eu trois ou quatre étranges et inexplicables oscillations du niveau de la mer à Saint-Pierre mais personne n'en avait tenu compte. Ces légères secousses étaient probablement causées par le magma en fusion qui s'acheminait à travers les basses couches de pierre.

Durant les premiers mois de de 1902, les fumées étaient suffisamment abondantes pour atteindre les rives ouest de la montagne.

Duni-Emile Josse, vigile dans un magasin au Prêcheur (8 km au nord de Saint-Pierre) déclarait au journal Les Colonies que les fumées nauséabondes avaient causé de l'inquiétude dans le village depuis le début de l'année. Plusieurs autres personnes ont témoigné de la gêne voire des maladies causées par les imposantes fumées du volcan au mois de février 1902.

Plus tard dans le mois, les personnes vivant sur la côte avaient commencé à sentir les mêmes grosses fumées sentant les œufs pourris, odeurs de sulfure d'hydrogène qui avaient soufflé vers l'ouest en raison des alizés. A l'époque, seul Gaston Landes qui observait le volcan avec attention alerte sur sa dangerosité.

Autrement, la Pelée ne suscite pas d'inquiétudes particulières chez les vulcanologues de l'époque. En effet, les éruptions se produisent à des intervalles plus ou moins longues, parfois des décennies, siècles, ou même millénaires.

Peu de volcans explosent continuellement et la plupart des éruptions durent de courtes périodes séparées par de très longues intervalles quand le volcan est dormant et que l'orifice est bloqué avec les produits des précédentes éruptions. Pendant longtemps, il était impossible pour les chercheurs de déterminer si le volcan était dormant ou éteint d'où le fait que les incertitudes en 1902 à propos du statut exact du volcan étaient légitimes.

Les deux termes ne se différencient aujourd'hui que par le nombre d'années sans activité du volcan (10 000 pour le statut de endormi et plusieurs dizaines de milliers d'années pour le statut d'éteint). Un volcan entre en éruption quand le magma monte puis créé un orifice percé et éclate à la surface de la terre.

Le magma est composé de solide, liquide et de gaz qui sont sous forte pression et à des températures pouvant excéder 700°C. Le déplacement jusqu'au cratère cause des tremblements de terre qui sont localisés sur et autour du volcan, plus ou moins forts, moins répandus et meurtriers que leurs homologues tectoniques causées par les mouvements de plaques qui composent la croûte terrestre.

Schéma de l'éruption d'un volcan effusifOn distingue deux grands types de volcans : l'un effusif où la lave coule lentement hors du cratère quand il se produit une éruption et l'autre explosif qui produit des projection de roches, des cendres épaisses appelées nuée ardente et des blocs de magma qui retombent sur le sol.

Ce dernier est beaucoup plus dangereux car sa zone de dangerosité pour la sécurité des personnes est beaucoup plus étendue, son éruption est beaucoup plus rapide rendant ainsi l'évacuation des lieux moins prévisible.

Schéma d'une éruption d'un volcan de type péléenEn ce qui concerne la Montagne Pelée, le volcan est explosif. Ce type d'éruption volcanique n'a pas « pas d'horloge » et ne suit pas exactement le même schéma. Parfois les signes préliminaires ne mènent pas forcément à une éruption mais alertent toutefois qu'une activité se produit dans les entrailles du volcan.

D'un côté, on peut dire que le magma de la Pelée avait causé quelques tremblements de terre, mais de l'autre le rythme du volcan était allé crescendo dans une vitesse inhabituelle. Personne à l'époque ne semblait s'alarmer outre mesure. Certains sages de l'époque déclaraient : « C'est un vieil homme qui ronfle. Rien de dérangeant. Juste son dernier jet. ».

En Mars 1902, les odeurs deviennent encore plus nauséabondes sur une surface allait jusqu'au Prêcheur et Sainte-Philomène à 5 km du nord de Saint-Pierre. Les gens vivant sur hauteurs de la Pelée qui avaient toujours bu les eaux de la Rivière Blanche se plaignent du fait qu'ils développent des coliques.

Le Dimanche 23 Mars 1902, Louis des Grottes, propriétaire de la Plantation Leyritz, grimpe jusqu'au sommet de la montagne et voit plusieurs cratères dans l'Étang Sec (pointe du sommet) qui étaient en fumée. Il écrit : « Aujourd'hui, le 23 mars, le cratère de l'Étang Sec est en éruption » sans vraiment réaliser le drame qui était derrière cette déclaration.

Au cours du mois d'Avril 1902, il est difficile de dire ce qui se passait exactement au sommet de la Montagne Pelée en raison des trop nombreux nuages qui cachaient sa vue. Les fumées étaient plus fortes, plus fréquentes, plus abondantes et elles gênaient considérablement le quotidien des villages de la côte à l'ouest de la Montagne.

Le 10 Avril, l'Abbé Duffau, prêtre à Sainte-Philomène se plaint à quelques amis : « Je ne sais pas ce qu'il va advenir de nous. Ça empeste le soufre depuis un moment maintenant. La vie est insupportable. » Vers le milieu du mois, le sol grondait comme le tonnerre, et des fumées blanchâtres s'échappait près de la soufrière.

Une personne était intriguée par ce qu'il se passait à Saint-Pierre, Gaston Landes un professeur de sciences naturelles au Lycée et un des intellectuels de la ville. Il avait écrit une brochure sur la Martinique pour la Grande Exposition de Paris en 1900. Il n'était pas un expert sur les éruptions volcaniques mais il essayait consciencieusement d'interpréter le cours des évènements avec ses connaissances générales scientifiques à propos des volcans.

Le Dimanche 20 Avril, il monte jusqu'au sommet, pour voir lui-même ce qui se passe. Il aperçoit deux nouveaux orifices se sont développés au niveau du cratères. Il n'avait pas suffisamment de connaissances scientifiques pour réaliser les implications.

Le 22 Avril à 14h03, un petit tremblement de terre cause un éboulement au niveau de la mer au nord ouest de la Montagne Pelée avec comme principal conséquence la rupture du câble de télégraphe entre la Martinique et la Guadeloupe.

Le 23 Avril à partir de 8h00, trois tremblements de terre supplémentaires secouent les flancs de la montagne. Clara Prentiss, femme du Consul américain à Saint-Pierre écrit à sa sœur vivant aux États-Unis : « Nous avons entendu trois secousses distinctes. La première était forte, la seconde et la troisième était si fortes que la vaisselle est tombé des étagères et la maison était complètement sans dessus-dessous. »

Il y avait des signes que le magma était entrain de pousser jusqu'à la surface mais en 1902 le réveil de volcans dormant depuis une longue période n'avait pas été étudié et les alertes concernant la Montagne Pelée semblaient être plus qu'une simple peur de paranoïaques. En effet, c'était le début de la phase phréatique qui se caractérise par des tremblements de terre, des grondements souterrains et des pluies de cendres.

Aujourd'hui, si de tels signes précurseurs se faisaient dans la Pelée, n'importe quel chercheur du monde chercherait à se rendre le plus rapidement possible en Martinique pour étudier le volcan.

De la phase phréatique à l'explosion du 8 Mai 1902

Coupe d'un volcanLa phase phréatique définie à la page précédente est ce que l'on pourrait définir dans le cas de la Montagne Pelée de période intense d'activité volcanique. Les tremblements de terre, grondements souterrains et nuages de fumée blanchâtre se font plus fréquents.

Ainsi, le 23 Avril à 20h45, les habitants du Prêcheur entendent une explosion souterraine qui a également été entendue par l'agent de câble sous-marin au large des côtes. C'était soit une explosion ou un petit tremblement de terre. Dans tous les cas, c'est là qu'a débuté le deuxième phase de l'éruption : activité hydrovolcanique où le magma a rencontré de l'eau filtrant à travers des fissures. L'orifice était ouvert. Des colonnes de poussières, cendres et de vapeur fonçaient vers le ciel.

Les deux jours suivants, une épaisse couverture nuageuse cachait la plupart du temps les événements au sommet.

Le 24 Avril, les nuages durant un moment laissent apercevoir le sommet, plusieurs personnes se trouvant au nord de la ville remarquent des masses de vapeur blanchâtre.

Le journal « Les Antilles » rapporte le 26 Avril que « cette abondante vapeur blanche semblait venir d'un long cratère qui était probablement situé dans la vallée de la Rivière Blanche ». Les explosions continuent à intervalle tout au long de la nuit bien que aucun fragment n'arrivait à atteindre les installations sur la côte. Le ciel clair du 25 avril révèle la crête à nouveau et la vapeur blanche qui s'y échappe.

A 7h00, une forte explosion à l'Étang sec se fait entendre. Elle est accompagnée d'énormes éclaboussures et bruits et de crépitements explosifs qui étaient accompagnés par des grondements souterrains, plusieurs tremblements de terre superficiels et l'expulsion de considérables projections de cendres, vapeur et des giclées d'eau en ébullition mélangées avec des roches et des troncs d'arbres.

A 8h00, ce Vendredi 25 Avril, la plus forte explosion jusqu'ici retentit et obligent les habitant de Saint-Pierre à se tenir plus informés. Au Prêcheur, le bruit avait été perçu comme un tir de canon. Une fumée de poussière se répand dans la ville, l'air était tellement chaud et rempli de poussières que deux personnes dans une même zone ne pouvait pas même pas se reconnaître. Le travail est même interrompu sur certaines plantations.

Le Samedi 26 Avril, les cendres couvrent la ville de Saint-Pierre et les communes environnantes. L'inquiétude est présente mais la population ne réagit pas. Le lendemain, l'Étang sec se remplit d'eau bouillonnante jaillissant du cône. Une forte odeur de soufre se fait ressentir dans les rues de la capitale et 10km aux alentours. Malgré cela, les bureaux de vote ouvrent leurs portent pour le premier tour des élections législatives. Marius Hurard chef d'édition du journal « Les Colonies » ne voit pas de raison de l'affolement dans la capitale, il tente de contenir la panique populaire et déclare : « Saint-Pierre au pied de la Pelée n'est pas plus en danger que Naples au pied du Vésuve ».

Le Mercredi 30 Avril, les villages du Prêcheur et de Sainte-Philomène sont couverts de cendres. Au Prêcheur, l'odeur d’œufs pourris devenait de plus en plus répugnante. L'inquiétude commence à monter en même temps que les contes de vieilles femmes sur l'éruption de 1851.

Duno-Emile écrit : « Les gens étaient apeurés Ils prenaient leur enfants, leurs biens les plus précieux en passant du coq à l'âne comme si ils avaient été aveuglés. Après ils retournaient à la maison, criant et priant en même temps, suppliant leurs voisins de les aider, eux-mêmes si émus par la terreur restaient sourds à tous les appels de leurs concitoyens ».

Le Vendredi 2 Mai à 11h30, c'est la phase disont-le terminale du volcan appelée phase magmatique, des séismes, de violentes détonations se font entendre, le soleil est masqué et de nombreux éclairs se succèdent dans le ciel. Une couche de cendres épaisse de plusieurs centimètres se répand sur toute la partie nord de l'île.

Le lendemain, les alizés renvoient un nuage de cendres vers le nord dégageant temporairement le ciel de Saint-Pierre. De nombreux séismes entraînent la rupture du câble télégraphique vers la Dominique.

Cathédrale de Saint-Pierre le dimanche précédant l'éruptionLe Dimanche 4 Mai, c'est le retour et l'intensification des chutes de cendres. Les ravines sont en crue, les routes sont coupées vers le Nord. L'inquiétude est à son maximum dans la population.

De nombreux habitants tentent de fuir pour se réfugier dans des villes plus au sud. La ville subit une vague de départs. Des voix s'élèvent pour réclamer une évacuation de la ville mais la proximité des élections législatives partielles qui avaient lieu le Dimanche 11 Mai, difficiles à reporter, n'encouragent pas les élites à procéder à l'évacuation ni même à appeler la population à quitter la ville sous la menace.

Des notables tels que le Maire de Saint-Pierre Roger Fouché, le Gouverneur Mouttet, le directeur du principal journal Les Colonies Marius Hurard ou le gros usinier Eugène Guérin minimisent le danger.

Usine Guérin ensevelieLe Lundi 5 Mai au matin, c'est le calme apparent du volcan. Des myriades de fourmis (fourmis-fous), de scolopendres (mille-pattes) venimeux et des serpents trigonocéphales envahissent les rue de la ville et font une cinquantaine de victimes. Le débordement de l'Étang Sec produit un lahar (coulée boueuse d’origine volcanique) dans la Rivière Blanche.

L'usine Guérin est ensevelie sous une boue brûlante de plus de 6 mètres et fait 25 victimes. Le réseau électrique surchargé par les cendres humides rompt.

Le Mardi 6 Mai, la population continue de fuir la ville. De nombreuses annonces demandent à la population de déserter la ville sous la menace d'une éruption. Des explosions ont lieu dans la montagne faisant des cendres incandescentes s'échapper.

Des pluies torrentielles à base de condensation de vapeur d'eau et des coulées boueuses dans toutes les ravines se produisent. La rade de Saint-Pierre est couverte d'un épais tapis de cendres ponces et débris végétaux.

Le Mercredi 7 Mai, veille de l'explosion du 8 Mai 1902 c'est le grand calme. Obstrué le cratère bloquait l'expulsion de gaz et des projectiles préparant l'explosion finale du bouchon du cratère sous l’énorme pression de dégazage du magma.

Le Jeudi 8 mai 1902, c'est le jour de l'Ascension. Une explosion se produit dans le cratère de l'Étang Sec dont le flanc était échancré depuis la coulée du 5 mai. Un souffle puissant suivi trois minutes plus tard de la nuée ardente bloquée vers le nord et l'est par la falaise de la caldeira et le dôme emprunte la brèche de l'Étang Sec vers la rivière Blanche et déferle à une vitesse supérieure à 500 km/h sur la ville.

Navires en feu dans la rade de Saint-PierreA 7h52, en moins d'une minute la Rivière Blanche est détruite en grande partie, les navires ancrés dans la rade sont en feu. L'explosion du bouchon provoqua un embrasement du cratère et une onde de choc, un « boum » atmosphérique supersonique (~ 450m/s, 30 hPa de surpression instantanée).

Épaisse fumée blancheCe bruit incomparable à tout bruit qu'on peut entendre quotidiennement était tellement puissant qu'il était insupportable à l'écoute humaine et au point de faire exploser les tympans des habitants sur plusieurs kilomètres.

Nuée ardente dans la Montagne PeléeUne épaisse nuée de gaz, d'eau et d'éléments solides en suspension s'échappa d'une bouche au pied du dôme, produisant un immense nuage noir en forme de champignon à plus de 4 km au-dessus du volcan.

Par la suite, il s'effondra sur lui-même et sa nuée descendante axée sur la Rivière Blanche couvrit de boue, de blocs et de cendres une zone triangulaire entre Étang Sec/Prêcheur/Saint-Pierre de plus de 40km et s'arrêta au milieu de la rade à plus de 1 500 m du rivage.

Des incendies et des lahars aggravèrent les destructions et le nombre de victimes. Selon l'endroit où elle se trouvaient dans la zone ravagée, les victimes étaient décédées soit à l'onde de choc atmosphérique, à l'inhalation de gaz brûlants, de profondes brûlures, des chutes de blocs volcanique ou encore des écroulements de bâtiments. Saint-Pierre ne fut pas la seule ville touchée par l'éruption.

De nombreuses victimes étaient recensées dans tout le nord de l'île de la zone caraïbe à la côte Atlantique même si le nombre fut bien évidemment plus importants sur la Côte Caraïbe en contre-bas de la Pelée. Seuls deux hommes et une jeune fille survécurent à l’éruption du 8 Mai grâce à la solidité et l'éloignement des bâtiments où ils se trouvaient. Ils furent cependant gravement brulés.

Cyparis célèbre survivant de la Montagne PeléeLe premier Louis-Auguste Cyparis, un ouvrier de 27 ans était enfermé dans le cachot de la prison pour avoir participé à une rixe meurtrière dans un bar. Le cachot aux murs très épais n'avait qu'une étroite ouverture sur sa façade opposé au volcan. Il en fut extrait trois jours après l'éruption. Son corps était fortement brûlé. Il intégra le « plus grand spectacle du monde du cirque » Barnum et Bailey's où il était présenté comme l'« homme qui a vécu le jour du jugement dernier ». Il aurait été le premier noir célèbre dans le monde du spectacle aux États-Unis.

Léon Compère dit Léandre était un jeune cordonnier qui vivait dans un bâtiment aux murs épais situé en bordure de la zone dévastée.

Beaucoup moins connue, la jeune Havivra Da Ifrile échappée in extremis sur la barque de son frère qui fut recueillie en mer par un navire baptisé le Suchet.

Les premiers secours arrivent de Fort-de-France via le navire de guerre Suchet se présenta à l'entrée de la rade à 12h30 mais la chaleur l'empêcha d'y entrer avant 15h00. Il parvint malgré tout à secourir des marins et des passagers de divers navires en feu. Une fois arrivé par terre la majorité succombe à leurs blessures. Seule une vingtaine survécut.

Des lendemains qui déchantent ?

Saint-Pierre déchue

Saint-Pierre en ruines après l'éruptionOn aurait pu dire qu'au matin du 9 mai 1902 que Saint-Pierre se réveillait groggy mais l'état de catastrophe humaine et matérielle était tel qu'on pouvait parler d'une ville devenue du jour ou lendemain un désert, un champs de ruines telle une ville détruite après un bombardement. La rade de Saint-Pierre était couverte d'épaves, de quilles de navires renversés. C'est ce qui restait des 30 à 40 navires qui s'y trouvaient.

Le long des quais sur une étendue de 200 mètres, les approvisionnements de bois de construction étaient en feu. Sur les hauteurs de la ville et jusqu'à Fonds-Coré des incendies partiels étaient dénombrés. Les bâtisses qui jadis faisaient la fierté de la ville étaient partiellement ou totalement détruites. Aucun signe de vie n'était recensé. Ce n'est que deux jours après que les deux seuls survivants dans la ville seront retrouvés.

Saint-Pierre après éruptionDans un rapport rédigé par le vicaire général, administrateur du diocèse en l'absence de l'évêque envoyé à Monseigneur de Cormont ancien évêque de Saint-Pierre se trouvant à Paris, il décrit le sentiment qui l'anime en déclarant : « Saint-Pierre, cette ville, encore le matin vivante, n'est plus!... La voilà devant nous, consumée, gisante dans son linceul de fumée et de cendres, morne et silencieuse comme une nécropole. Nos yeux y cherchent des habitants fuyants éperdus ou revenant chercher leurs morts ! Mais rien ! Pas une être vif n'apparaît dans ce désert de désolation, encadré d'une solitude effrayante !

Au fond, la montagne et ses pentes, jadis si vertes, semblent revêtues, quand elles se découvrent, d'un épais manteau de neige, comme un paysage des Alpes; et, à travers le nuage de cendres et de fumée répandu dans l'atmosphère, un soleil aux lueurs ternes, blafardes, inconnues sous nos cieux, jette sur ce tableau quelque chose de sinistre, qui donne l'impression d'une vue d'outre-tombe. Avec quel saisissement ému, je lève la main sur ces 40 000 existences tout à coup fauchées, couchées, ensevelies dans cet affreux tombeau !

Chères et infortunées victimes, vieillards, femmes, enfants, jeunes filles, tombées si tragiquement, nous vous pleurons, nous, les survivants malheureux de cette désolation, tandis que vous, purifiées par la vertu particulière et les mérites exceptionnels de l'horrible sacrifice, en ce jour du triomphe de votre Dieu, vous êtes montées auprès de lui pour recevoir de sa main, la couronne de gloire! C'est dans cette espérance que nous que nous trouverons la force de vous survivre. »

Un agent de la Compagnie française des câbles télégraphiques décrit également la scène qu'il a face à lui : « Le Mouillage s'effectue au milieu de carcasses fumantes de navires. Un nuage de cendre cache totalement la vue de la montagne. Deux prêtres procèdent au service mortuaire, suivi debout sur les ruines, en face de la douane, à côté des flammes qui jaillissent encore des maisons situées au bord de la mer.

On visite successivement l'hôpital militaire, le bureau du câble, la banque et la batterie d'Esnotz. Les rues sont jonchées de cadavres noircis, nus, méconnaissables. Une odeur de chair roussie nous étrangle. Un seul être porte encore ses habits : c'est un infirmier de l'hôpital qui a dû se jeter dans un bassin, et l'eau tarie, le corps a été ensuite carbonisé avec les vêtement plaqués dessus.

Quelques murailles subsistent. Les toitures, les cloisons, les objets à l'intérieur des édifices paraissent avoir été violemment projetés au dehors. On ne rencontre rien de vivant, pas même une mouche sur les chairs putréfiées : le royaume de la mort, dans toute sa désolation.».

Cadavres jonchant les rues de Saint-PierreLes soldats envoyés pour le sauvetage d'éventuels survivants n'ont rien à faire. Ils retournent au Carbet remplis d'émotion et d'amertume devant l'immense désastre constaté à Saint-Pierre. Au Carbet également, les dégâts sont très nombreux. Dans certaines maisons, on pouvait observer une quinzaine de cadavres, des mourants fortement brûlés, des jeunes gens à la peau tuméfiée tombant en lambeaux.

La désolation est forte et partout. Des parents pleurent leurs enfants, des enfants leur parents, des femmes leur mari et vice-versa. Les cris de douleurs se sont entendre partout. Les soldats rentrent ensuite à Fort-de-France.

Mais l'éruption ne s'arrête pas au seul 8 Mai 1902, il y eut plusieurs nuées entre le 8 Mai et le 30 août plus ou moins violentes. On en dénombre même une soixantaine jusqu'à la fin de l'année 1903. L'épaisseur cumulée des couches de cendres dépassera même les 3 mètres. La rue Levassor dut être déblayée. Du côté politique, Louis Mouttet alors Gouverneur de la Martinique, faisait partie des victimes de l'éruption, ainsi que son épouse. Il avait été très critiqué après-coup pour sa gestion de la catastrophe.

Jean Baptiste Philémon Lemaire lui succède alors. Pourtant au début du mois d'août, la ville est estimée sans danger par les autorités qui appellent les anciens habitants de Saint-Pierre à reprendre possession de leur ancienne maison. Certains qui avaient fui et survécu ainsi à l'éruption du 8 Mai, retournés vivre à Saint-Pierre seront les victimes de nouvelles nuées ardentes.

Le 20 Mai, une éruption plus violente que la celle de 1902 frappa l'ensemble de l'île. Les cendres retombèrent sur toute l'île. Les bâtiments qui avaient été partiellement détruits sont définitivement détruits. Quelques victimes sont à noter. Des pillages ont lieu dans les rues de la ville. Les cendres qui recouvraient les cadavres empêchèrent leur décomposition. Le 26 Mai, 6 Juin et 9 Juillet il y eut des nuées analogues.

Éruption du 30 AoûtLe 30 août, la nuée est beaucoup plus étendue vers le sud et l'est va accroître les dégâts . Une surface de près de 60 km² est détruite. Bien que l'explosion ait été moins importante et moins brûlante (plus de 120°C), ses éléments incandescents incendièrent néanmoins la végétation et les habitations de la ville.

Près de 1 400 nouvelles victimes (800 au Morne-Rouge, 250 à Ajoupa-Bouillon, 25 à Basse-Pointe et 10 au Morne Capot) furent à noter. De Novembre 1902 à Septembre 1903, il y eut des écroulements successifs aux départs des nuées. Après 1905 et jusqu'en 1910, quelques fumeroles étaient visibles et une lente surrection (élévation en altitudes des roches qui composent les montagnes) du dôme apparaît. L’extinction est cependant apparente.

Éruption de 1929 : nuée ardenteQuelques années plus tard, une nouvelle éruption eut lieu entre 1929 et 1932 mais ne fit que des dégâts matériels.

Reconstruite mais... : Saint-Pierre d'aujourd'hui

Après l'éruption de la Montagne Pelée en 1902, les questions sont nombreuses car Saint-Pierre était la capitale de la Martinique. Doit-on reconstruire sur les cendres de l'éruption une ville qui a la possibilité d'être détruite à nouveau ? Faut-il faire de Fort-de-France, la capitale administrative de la Martinique depuis 1692, la nouvelle capitale de la colonie ? Comment la Martinique va t'elle se relever après avoir perdu son cœur économique et social ?

Beaucoup d'avis divergent sur certaines de ces questions. A la question sur la possibilité que la Martinique s'en relève, l'île ne tardera pas à redresser la barre. L'aide internationale fut très importante. De toute part, des envois sont faits pour aider la population à bénéficier des besoins de premier ordre. Les deux autres colonies françaises de la zone la Guadeloupe et la Guyane proposent d'accueillir les populations qui avaient tout perdu lors de la catastrophe.

La métropole envoie diverses ressources matérielles et physiques pour aider la population à surmonter cette terrible épreuve. De nombreux pillages ont lieu. Face à cela, la métropole appelle à un pillage national des lieux. L'État délègue alors une commission chargée de récupérer les bijoux se trouvant sur les cadavres, avec la promesse de les restituer aux familles des défunts, mais la promesse n'est pas tenue. Les gens viennent à Saint-Pierre pour récupérer des fontaines, chercher du marbre, s'attribuer des statues et s'emparer des canons.

Concernant la reconstruction de Saint-Pierre, le correspondant du New York Herald dans un entretien avec l'amiral Sevran qui commande le Tage déclare : « La ville de Saint-Pierre ne devrait jamais être reconstruite, car le danger créé par la Montagne Pelée peut se perpétuer pendant des siècles. On ne devrait pas non plus laisser Fort-de-France prendre un plus grand développement. J'emploierai mon influence à faire bâtir sur la côte sud-este de l'île, soit à la Trinité, soit à la Caravelle, une autre ville qui devrait être la capitale de la colonie. »

Il paraît à cette époque évident qu'il faut déplacer la capitale de la colonie dans un lieu sûr à l'abri des foudres éventuelles du volcan mais face à l'urgence de réorganiser rapidement la vie en Martinique et relancer l'économie durement frappée, Fort-de-France qui possédait déjà un port s'annonce comme un choix logique.

Saint-Pierre est déchue de son titre de capitale de la colonie et n'a jamais retrouvé ce statut prédominant. Elle est aujourd'hui le siège d'une sous-préfecture de la Martinique et possède une division de la Chambre de Commerce de la Martinique. Pendant des années, la ville reste en ruines. Saint-Pierre est délaissée de son rôle de capitale économique de la colonie au profit de sa grande rivale, Fort-de-France.

Elle tombe même sous le coup de la loi du 15 février 1910 qui la raye de la carte des communes de France. Sa gestion est confiée à la ville voisine du Carbet. Cette loi de 1910 autorise la commune receveuse à vendre le patrimoine de la commune supprimée, et à en garder le bénéfice qui se dégage de la liquidation de cette dernière. De là Saint-Pierre perd une grande partie la richesse de son patrimoine archéologique.

Ancienne chambre de commerceIl faudra attendre 1923 pour que Saint-Pierre renaisse de ses cendres. Elle est progressivement reconstruite parfois en conservant les lieux tels qu'ils étaient (la Chambre de commerce reconstruite à l'identique est actuellement un des plus beaux ouvrages architecturaux de l'île (cf photo), l'ancienne Cathédrale du Mouillage) ou de façon plus moderne (habitations privées de la population).

La population revient peu à peu s'installer dans la ville sans jamais atteindre le chiffre de 28 000 âmes qui vivaient dans la ville à la veille de l'éruption de 1902. La ville passe de 3 000 habitants en 1923 à 4 122 aujourd'hui.

Distillerie DepazL'activité économique reprend petit à petit, Vincent Depaz, membre de la famille Depaz qui vivait dans l'Habitation Perinelle revient de Bordeaux où il faisait ses études. Orphelin, il a perdu toute sa famille dans l'éruption de 1902. Il est déterminé à rebâtir l'ancienne habitation qui avait été son lieu de vie durant sa jeunesse. Il rachète les anciennes terres de l'Habitation Pécou où il va reconstruire à l'identique son ancienne maison (Château Depaz) et fonder la distillerie Depaz, productrice de rhum.

Encore aujourd'hui, elle est active et produit un rhum de qualité. Il financera divers travaux de reconstruction de la ville de Saint-Pierre dont ceux de l'ancienne cathédrale du Mouillage.

Ancien théâtre de Saint-PierreLes ruines des lieux les plus mémorables (cachot de Cyparis (prisonnier survivant de l'éruption), ancien théâtre, église du fort, le pont sur la Roxelane (qui a résisté à l'éruption), les ruines du Figuier (anciens entrepôts et magasins) ou encore la rue « Monte au Ciel ») sont conservées comme patrimoine de la ville et préservées années après années pour la mémoire collective de cette catastrophe hors du commun. L'ensemble de la ville est labellisée ville d'Art et d'Histoire en 1990 par la Ministère de la Culture et de la Communication.

Ainsi aujourd'hui, l'activité de Saint-Pierre est basée essentiellement sur le tourisme et notamment sur la plongée, le port présentant de nombreuses épaves de navires.

Le proverbe martiniquais qui dit « Tout couyon mô Saint-piè » paraît bien naïf quand on voyait la grandeur de Saint-Pierre à l'époque. Nul ne pensait que cette ville créée selon le modèle des villes européennes, qui n'avait rien à envier à aucune ville dans le monde de par son originalité, ses bâtisses, sa richesse et son organisation pouvait s'ébranler en quelques minutes.

Saint-Pierre était la réussite de la colonisation à la Française. La France avait su exporter son modèle et supplanter le grand empire britannique. D'ailleurs, Saint-Pierre suscitait des jalousies même des villes européennes. Fort-de-France était à l'époque la capitale administrative mais pourquoi fuir et s'y réfugier quand on vivait dans des conditions de vie optimales ?

De plus, les élites plus préoccupées par les élections législatives qui devaient avoir lieu, n'ont elles pas dédramatisé la situation ?

Les chercheurs de l'époque s'étaient-ils intéressés aux grondements qui frémissaient, aux nombreux tremblements de terre ou encore la vapeur blanche qui s'échappaient des sommets de la Pelée ?

Aujourd'hui on aurait du mal à réaliser mais l'histoire de Saint-Pierre est précurseur de l'histoire du Titanic qui allait faire naufrage quelques années plus tard. Après tout, Saint-Pierre n'était-elle pas elle aussi inébranlable ?

Bibliographie :

  • Saint-Pierre Martinique 1635-1902 : Annales des Antilles françaises, Charles L Lambolez
  • The Last Days of St.Pierre: The Volcanic Disaster that Claimed Thirty Thousand Lives, Ernest Zebrowski
  • La Catastrophe: The Eruption of Mount Pelee, the Worst Volcanic Eruption of the Twentieth Century, Alwyn Scarth