Si vous étiez dans la ville ce matin du 8 mai 1902, vous auriez très certainement ignoré les avertissements d'alerte à l'éruption de la Montagne Pelée.
Qui aurait pu croire que le Petit Paris ou encore le Paris des Antilles, cette ville dynamique réplique de la capitale française, cette puissance coloniale qui s'était développée grâce à son port serait en lambeaux au milieu de la journée ?
Il en est ainsi des 28 000 habitants. Aucun ne pensait que cela était possible ni non plus l'ampleur de la catastrophe.
L'histoire de Saint-Pierre peut s'apparenter à celle du naufrage du Titanic qui a eu lieu 12 ans après l'éruption de la Montagne Pelée. Retour sur l'histoire de Saint-Pierre l'insubmersible devenue un champs de ruine le soir du 8 mai 1902.
La Martinique était peuplée de Caraïbes quand Christophe Colomb a débarqué le 15 juin 1502. Un siècle plus tard, quand les colons français emmenés par Pierre Belain d'Esnambuc débarquent en Martinique le 1er Septembre 1635 ce sont ces mêmes Caraïbes qui sont encore les habitants de l'île.
Les Français s'installent aux pieds de la Pelée, dans une zone qui allait jusqu'au Carbet. Ils construisent un fort dans le but de se protéger des menaces extérieures (Hollandais, Anglais, Espagnols qui convoitent et se disputent les îles de la zone) et intérieures (les Caraïbes sont hostiles à ces nouveaux arrivants venus d'Europe). Ils baptisent ce fort Saint-Pierre, fête proche dans le calendrier.
Ce fort leur servira plus tard par deux fois à attaquer les Caraïbes qui menaçaient la relative entente qui régnait dans l'île. La Martinique était séparée en deux parties presqu'égales en terme de surface avec les Colons qui s'installent sur la côte Caraïbe et les Caraïbes installés sur la côte Atlantique (voir carte).
Petit à petit, Saint-Pierre se construit. Des habitations lieu de vie des colons voient le jour, l'église du quartier du Fort voit le jour pour avoir un lieu de culte sur place. Des Jésuites sont appelés dans le but de préserver les traditions chrétiennes et enseigner les préceptes chrétiens aux habitants non-convertis, les Caraïbes.
Un couvent est construit dans le but de les héberger à côté de l'Église du Fort que fréquentait les colons.
Un hôpital sera également construit. Les terres sont séparées entre colons qui y exploitent différentes cultures vouées à l'exportation (café, cacao, canne à sucre) ou au troc (tabac d'abord moyen de troc, ensuite culture vouée à l'exportation).
Les colons européens étaient encouragés à venir s'installer en Martinique. Soit si ils avaient suffisamment de ressources financières et pouvaient acheter une parcelle de terrain ou encore ils venaient en tant qu'engagés pour travailler sur des plantations existantes pour une durée de 3 ans.
A la fin de leur contrat, trois options s'offraient à eux : la première était de rempiler pour trois nouvelles années, la seconde était le retour gratuit vers la métropole et la dernière était d'acheter une parcelle de terrain d'une taille d'environ 25 hectares qu'ils pourraient eux aussi exploiter. Beaucoup ont choisi cette dernière option.
La région de Saint-Pierre devient très vite la zone la plus riche de la Martinique grâce au commerce de sucre et des esclaves. Un port de marchandises est construit afin d'accueillir les navires qui embarqueraient les produits voués à l'exportation et déchargeraient les produits qui viennent de métropole et les esclaves d'Afrique. Des navires du monde entier débarquent et embarquent des produits fabriqués en Martinique.
De la métropole notamment, venaient des produits alimentaires tels le fromage, le vin, les pois, etc..., des matériaux de construction, des hommes qui venaient soit apporter leur expertise dans certains domaines ou encore travailler dans les plantations. De nombreux commerces voient le jour dans la ville qui devient la capitale économique et sociale de la Martinique et à encore une plus grande échelle la capitale de toutes les Antilles Françaises.
Grandeur et gloire de Saint-Pierre du 19ème siècle à la veille de l'éruption
Présentation de la ville à la veille de l'éruption
A la veille de la catastrophe, Saint-Pierre était peuplée par 28.000 habitants (3 000 à 3 500 blancs, 9 000 à 10 000 personnes de couleurs et 15 000 noirs). C'était la plus grande ville de l'île en superficie. Elle se trouvait à 10 km du cratère de la Pelée, de Fort-de-France dont elle était reliée en bateau deux fois par jour. La traversée d'une longueur de 25 km permettait aux deux capitales de l'île, Saint-Pierre, capitale économique et sociale et Fort-de-France, capitale administrative s'effectuait en une heure.
La ville, bâtie en amphithéâtre, était un symbole de réussite de la colonisation française. Elle était devenue une fierté, son opulence et sa grandeur étaient remontée jusqu'à Paris. Elle faisait la splendeur de la côte Caraïbe de l'ile. Ses rues et ruelles, 103 au total constituait un réseau de 20 km de routes.
La rivière, la Roxelane la séparait en deux parties presqu'égales : le Mouillage et le Fort. Saint-Pierre était avant l'éruption qualifiée par beaucoup de plus belle ville de la Caraïbe ! Elle était une des villes les plus propres et les agréables du monde entier. Sa renommée et sa splendeur faisaient même des envieux en Europe jaloux de cette nouvelle bourgeoisie coloniale.
Elle était également surnommée, Petit Paris ou Paris des Antilles. De nombreuses fontaines publiques ou celles des particuliers participaient à l'embellissement de la ville. Elle étaient approvisionnées en eau par les sources Morestin située à 7 km de la Montagne Pelée, ou Roxelane. Elle concentrait toute l'activité économique de l'île. Des usines avaient élues domicile à Saint-Pierre ainsi qu'une quinzaine de rhumeries aussi. La Banque de Martinique s'y trouvait. Il y avait aussi une tonnellerie mécanique, une fonderie, de vastes magasins et des entrepôts, deux câbles transatlantiques.
Saint-Pierre était également le siège de l'évêché avec pas moins de trois paroisses majeures : la cathédrale Notre-Dame de Bon-Port, le Fort-Saint-Pierre (en photo) et Saint-Étienne du Centre. Trois autres paroisses moins considérables, la Consolation, Sainte-Philomène et les Trois-Ponts étaient également présentes dans la ville qui avait également une dizaine de chapelles.
La cité possédait une cour d'assises, un tribunal de première instance pour les affaires commerciales, deux justices de la paix, la Banque de Martinique et deux autres institutions bancaires : le Crédit foncier colonial, le Trésor.
Côté scolaire, elle abritait plusieurs établissements publics : le séminaire-collège, le lycée, le Pensionnat de Notre-Dame de la Consolation, celui des Demoiselles Dupouy et Rameau et le pensionnat colonial.
Le séminaire-collège participait à la grandeur de la ville. Créé par les évêques de la Martinique, il disposait de ressources exceptionnelles (Diocèse et des ressources personnelles). Il était devenu une pépinière de savants, d'hommes distingués dans toutes les branches de la vie intellectuelle et sociale aux Antilles faisant de la ville une citadelle de science et de piété.
Le lycée était installé dans l'ancien domaine des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Le pensionnat colonial était situé au cœur de la ville. Les religieuses de Saint-Joseph s'étaient installées à la Consolation. Elles continuaient de former les jeunes filles des familles les plus aisées de la Martinique.
La maison qui les accueillaient était très florissante, n'avait rien à envier aux plus grandes écoles de France. Trois hôpitaux s'y trouvaient, l'hospice civil qui comptait 200 lits, la maison coloniale de la santé qui pouvait recueillir 150 aliénés et l'hôpital militaire fondé en 1685 par les Frères de Saint-Jean de Dieu pourvu d'une centaine de lits.
L'asile de Bethléem « Hôtel des Invalides de la colonie » conçu pour la retraite des vieillards et des infirmes était une œuvre de charité exceptionnelle. Un jardin des plantes égayait la ville.
Construit en 1803 par Castelnau d'Auros, il était qualifié d' « une des merveilles du monde » et était une vitrine aussi bien de la flore tropicale que des plantes exotiques. Une cascade jaillissait au milieu de cet ensemble qui laissait des souvenirs mémorables à chaque visiteur qui s'y rendait.
La ville possédait plusieurs places publiques dont la place Bertin connue dans le monde entier avec sa fontaine, la fontaine Agnès à jet continu. Deux savanes dont celle située au Fort était comparé au Jardin du Luxembourg ou aux Tuileries où les enfants courraient dans tous les sens sous le regard de leurs nounous appelées das.
Dernier édifice mémorable, le théâtre, très ancien, démontrait l’élégance de la ville et n'avait rien à envier aux théâtres des plus grandes villes du monde. L'édifice avait été rénové en 1831. On aurait pu citer le palais épiscopal (ancien couvent des dominicains), le château de Perrinelle (ancien couvent des Jésuites), la caserne de la gendarmerie (ancien couvent des Jésuites), la caserne de gendarmerie (ancien monastère des ursulines), l'hôtel de la chambre de commerce, l'entrepôt des douanes, le presbytère du Fort, la maison Lasserre.
La vie quotidienne des Pierrotains
Les pierrotins avaient une qualité de vie proche de celle dans les grandes villes européennes. Ils vivaient dans une ville équipée d'électricité, un service de téléphone local, un accès aux télégraphes qu'ils envoyaient en Europe, des bureaux et des offices de presses dont le quotidien, Les Colonies. Ils vivaient dans des maisons bâties en très solide maçonnerie avec pour certaines de superbes façades en pierre de taille.
Si l'aspect extérieur des habitations pouvait passer pour simple, l'intérieur rivalisait de beauté, confortable voire même de grand luxe. Saint-Pierre possédait entre autre un service de transports de bus avec des femmes comme conductrices. De nombreux bateaux de taille différente baignaient dans sa baie.
La rue Victor Hugo alignait les très voyants magasins qui revendaient des articles venus directement de Paris. Les femmes des riches familles de la bourgeoisie pierrotine y allait pour s'acquérir de vêtements dignes de la mode parisienne. Les Américains également avaient des intérêts financiers à Saint-Pierre dans près de la moitié des opérations commerciale à Saint-Pierre.
Les hommes qu'on voyait dans la ville étaient soigneusement « habillés de pantalons blancs de toile et d'immenses chapeau en herbe de bambou. Certains étaient noirs, d'autres avaient d'étranges et belles couleurs : il y a des peaux d'or, de bronze marron ou de bronze rouge. Les femmes portaient des robes de teintes vives, femmes de la couleur de fruit, orange ou couleur banane, les femmes portaient des turbans avec un tel jaune que les barres du ventre d'une guêpe. » écrivait Lafacadio Hearn, écrivain japonais ayant vécu en Martinique pendant 2 ans.
Parmi les hommes proéminents vivant dans la ville de Saint-Pierre, on peut citer Amédée Knight (en photo), sénateur du Parlement français, Fernand Clerc, un puissant planteur, Maire de Trinité et par la suite Député et Sénateur de la Martinique, Andréus Hurard, chef d'édition du quotidien Les Colonies. Autre présence significative dans la ville, le consul américain Thomas Prentiss et sa femme qui vivaient dans la capitale de la Martinique. Concernant la Pelée, les habitants de Saint-Pierre se l'étaient pleinement appropriée.
Le volcan avait été calme depuis deux générations. Les familles pique-niquaient sur ses pentes, les enfants y jouaient et il était même un refuge lors de puissants ouragans. Les premiers colons l’appelaient « Montagne chauve » en raison de son sommet cerné par une bande de roches stériles. Peu après, elle est devenue Pelé avant qu'un cartographe n'ajoute un nouveau "e" au 17ème siècle et qu'elle devienne Montagne Pelée.
A une altitude de près de 450 m de hauteur par rapport au niveau de la mer, des marchands de Saint-Pierre avaient construit des « villas d'été » et « retraite », des lieux où ils se retranchaient avec leur famille pour échapper à la chaleur estivale. En-dessous d'une altitude de 750 m, les pentes de la Pelée était une image pittoresque de forêts, des champs de canne et de bananes et un groupe de maisons peintes dans des couleurs vives.
Plus haut, dans des températures plus froides, une abondante végétation s'y trouvait et empêchait toute exploitation. Les nombreuses ravines étaient une source d'eau fraîche pour les habitants de la ville de Saint-Pierre et les commune d'alentours. L'eau qui en sortait, servait aussi bien à nettoyer les rues de la ville qui étaient d'une rare propreté qu'aux industries de sucre et de rhum ou encore pour approvisionner les bateaux en transit au port de Saint-Pierre.
La Montagne Pelée était un symbole de joie et de plaisir. Des groupes d'habitants y avaient leurs habitudes et organisaient des randonnées à travers l'extravagance florale de bégonias et balisiers. Des entreprises locales proposaient des excursions dans la montagne, le plus souvent pour célébrer le Lundi de Pentecôte. Ainsi vivait pleinement la population pierrotine à la veille du 20ème siècle et de mai 1902, mois de l'éruption de la Montagne Pelée.