23-24 Mars 1964 : De Gaulle en Martinique, une folie populaire

Charles de Gaulle à son arrivée en MartiniqueCharles de Gaulle est le premier Président de la République à avoir posé le pied en Martinique. Il débarque dans l'île le 1er mai 1960 pour la première visite officielle d'un Président de la République dans l'île. Mais nous ne nous intéresserons pas à sa première visite mais à la seconde le 23 et 24 mars 1964.

À l'époque, la Martinique était un département français, un statut obtenu depuis 1946 mais les réformes attendues tardent à se mettre en place et l'égalité promise entre les citoyens de métropole et ceux de la Martinique n'est pas effective. D'ailleurs en 1959, l'île est frappée par une grande crise sociale et économique. La crise sucrière rend difficile la situation des ouvriers agricoles à un moment où l'agriculture était le premier secteur économique de l'île.

Le 20 décembre 1959, un banal accrochage entre un automobiliste métropolitain blanc et un motocycliste martiniquais noir déclenche trois jours d'émeutes à Fort-de-France. Ces émeutes font trois victimes Christian Marajo, Julien Betzi et Edmond-Eloi Véronique dit « Rosile » âgés respectivement de 15, 20 et 21 ans. Des mouvements autonomistes et anti-colonialistes voient le jour et deviennent très populaires auprès d'une jeunesse qui ne croit pas en un avenir meilleur.

Face à l'effervescence liée aux évènements en Algérie, De Gaulle fait voter une loi qui autorise les pouvoirs publics français à procéder à l'exil forcé en métropole des fonctionnaires de l'Outremer soupçonnés d'encourager à l'agitation sociale et aux positions anticolonialistes.

En 1962, 18 membres de l'O.J.A.M. (Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste Martiniquaise) placardent les rues pour commémorer les émeutes de 1959. Ils sont arrêtés et expulsés vers la métropole où ils seront emprisonnés à la prison de Fresnes.

Dans le même temps, en 1963, le BUMIDOM (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer) est créé pour favoriser l'émigration des jeunes habitants des départements d'Outre-mer vers la France métropolitaine qui était en cruel manque de main d'œuvre.

Au niveau politique, Aimé Césaire partisan de l'autonomie, Maire de Fort-de-France et Député de la Martinique est le principal leader politique de l'île. Il est l'un des députés ultramarins qui a défendu le plus l'idée de la départementalisation avant d'être déçu par sa mise en place localement. La question de l'identité martiniquaise revient constamment sur les lèvres et est au cœur des débats voyant que le nouveau statut de l'île n'avait pas permis la rupture avec son passé colonial.

L'île est partagée entre des revendications autonomistes et l'ancrage du département dans la République Française.

Visite de Gaulle vue par France-AntillesQuelques jours avant sa visite, un journal nommé « France-Antilles » voit le jour le 24 mars 1964 afin de relater la visite présidentielle dans l'île.

C'est dans cette situation sociale, économique et politique en ébullition que débarque le Président Charles de Gaulle en Martinique en 1964.

La visite présidentielle du Général De Gaulle

Visite de De Gaulle en MartiniqueDe Gaulle arrive en Martinique le 23 mars 1964 pour une visite officielle de deux jours avec comme principale intention de rappeler le statut de département français de la Martinique.

L'avion présidentiel se pose le 23 mars 1963 à 11h03 à l'aéroport du Lamentin. À sa descente d'avion, De Gaulle est accueilli par le Maire du Lamentin, Georges Gratient, le Président de la Chambre de Commerce ainsi que pour Raphaël Petit, préfet de la Martinique et le Lieutenant de vaisseau. Après on lui présente les parlementaires du département puis un quart d'heure plus tard, le cortège officiel se dirige en direction de la Place de la Savane où les honneurs militaires sont rendus au Général de Gaulle.

Il passe les troupes en revue et dépose ensuite une gerbe sur le monument aux morts. Il franchit alors les marches d'une tribune dressé face à la mer pour s'adresser à la population martiniquaise.

Population grimpant aux arbres pour voir Charles de GaulleLa population avertie bien à l'avance de la venue du Général de Gaulle, l'attendait avec un fort engouement. Les rues de Fort-de-France sont noires de monde et tous espèrent apercevoir le Président de la République. Les plus jeunes n'hésitent pas à grimper aux arbres pour assister à cet évènement historique.

Rassemblement populaire lors de la visite de De GaulleAujourd'hui encore, cet événement constitue le plus grand rassemblement public de l'histoire de la Martinique.

Charles de Gaulle en MartiniqueC'est là que De Gaulle prononcera un discours qui sera fortement applaudi par la population présente qui adhère totalement aux idées du Général. La phrase qui aura marqué cette visite reste indéniablement le « Mon Dieu que vous êtes français » dite par De Gaulle frappé par l'enthousiasme de sa visite et la politique d'assimilation française en place dans l'île. Cette phrase sera reprise en blague en « Mon Dieu, que vous êtes foncés ». Cela vient de son accent, qui faisait que les mots français pour "français" et "sombre" pouvaient être confondus.

Il réitère son souhait de voir la Martinique jouer un rôle central dans le rayonnement de la Grande France :

Là où est placé ce département, en plein milieu de l'océan, entre une immense Amérique, celle du Nord et celle des latins et une grande Europe, la Martinique est un témoin, un lien, un point, un lien d'où la France doit rayonner précisément sur l'ensemble de cet océan dont je parle. C'est un exemple à donner ici et à partir de cet exemple c'est une influence à exercer à partir d'ici et ce sera une de vos tâches.

suivi des acclamations de la foule présente en masse.

De Gaulle avec Césaire en 1964Après un déjeuner à 16h20, le Général est reçu à l'hôtel de Ville par Aimé Césaire, le Député-Maire de Fort-de-France, les membres du Conseil municipal et les notabilités de la ville.

Césaire prononce un discours devant de Gaulle réclamant plus d'autonomie et de gestion locale tout en restant dans la France. Il énumère les difficultés liées à l'insularité :

Et maintenant, M. le Président de la République, permettez-moi d’ajouter que dans la Martinique de 1964, nous vous accueillons aussi avec une immense espérance, car voyez-vous, nous aussi, nous avons nos problèmes.

  • Problème d’une île étroite, pauvre et terriblement surpeuplée.
  • Problème du sous-développement d’un pays singulièrement arriéré du point de vue économique.
  • Problème de notre prolétariat, voué au chômage et qui ne voit dans l’émigration qu’un palliatif inhumain.
  • Problème de notre jeunesse trop souvent acculée à la révolte parce qu’elle est sans débouché et privée de perspectives. Il se trouve que nous sommes confrontés, assaillis, bousculés par tous ces problèmes en même temps.

Ce à quoi De Gaulle répondra en autre :

Entre l’Europe et l’Amérique, il n’y a que des poussières, et on ne construit pas des États sur des poussières.

Puis il se rend à la préfecture où lui sont présentés les parlementaires, les conseillers généraux, les maires et les corps constitués du département.

Une soirée est offerte par le Président de la République dans le cadre de la Résidence préfectorale.

La journée de suivante, le 24 mars 1964, Charles de Gaulle est reçu à 10h10 à bord de « Jeanne d'Arc »  en rade à Fort-de-France dans la Baie des Flamands. A 11h15, il est reçu par l'hôte des Officiers.

À 16h20, on lui présente les travaux d'urbanisme de la ville de Fort-de-France et à 17h00, il se rend au lycée des Jeunes Filles où des délégations du corps enseignant et des mouvements de jeunesse et des sports lui sont présentés. Il adresse quelques mots aux élèves du lycée et aux délégations des autres établissements des autres communes du département.

Une heure plus tard, l'avion présidentiel décolle en direction de la Métropole.

Bilan de cette visite présidentielle

Au niveau popularité et historique c'est sans conteste l'un des moments fort de la Martinique post-départementale. La visite présidentielle est historique car l'île traversait une période de doute face à la crise économique et sociale qu'elle rencontrait. Cette venue de De Gaulle dans une île située à plus de 7 000 km de Paris mais rattachée à la France est évidemment essentielle vu le contexte d'indépendances que connaissait aussi bien plusieurs colonies françaises mais aussi les îles voisines de la Caraïbe qui s'affranchissaient de la Couronne Britannique.

De plus, à l'opposé des (banales) visites présidentielles récentes, De Gaulle aura tenu un discours qui plaît. Loin de venir faire plein de promesses (oubliées le plus souvent une fois arrivé sur le tarmac de l'aéroport du Lamentin dans l'avion du retour en métropole), il a un discours ferme rappelant aux Martiniquais leur place dans la République et le rôle qu''il entendait voir l'île jouer grâce à sa position géographique stratégique entre l'Amérique du Nord et du Sud.

Visite de Hollande en MartiniqueSi la situation de la Martinique s'est largement améliorée au niveau du développement économique, il n'en reste que le discours prononcé par De Gaulle aurait des effets plus positifs que les millions d'euros promis à chaque visite présidentielle récente et les promesses vite oubliées (continuité territoriale, favoriser l'emploi outremer des ultramarins, aides fiscales aux entreprises locales, etc...)

Visite de Gaulle (extrait en vidéo) : Lien YouTube