Févriyé 74

Le contexte : Une crise dans le secteur agricole

Dès les années 1960, la Martinique connaît une crise dans le secteur agricole. La concurrence que le sucre de canne connaissait face au sucre de betterave s'était estompée lors des deux guerres avec les besoins nationaux. Les demandes en sucre de canne baissent après la Seconde Guerre Mondiale et les usines sucrières ferment les unes après les autres.

Alors que la Martinique possédait 12 sucreries en 1962, elle n'en a plus que 2 en 1974. Sur la même période le nombre de rhumeries passe de 62 à 20. Conséquence directe de ces fermetures, le nombre de chômeurs augmente sans cesse. La canne en crise est arrachée au profit de la banane.

Dans un climat précaire, les ouvriers agricoles travaillent dans des conditions plus que précaires. Ils n'ont aucune règle, ni de durée horaire de travail. L'hygiène et la sécurité sont obsolètes. Les ouvriers sont exposés quotidiennement aux produits toxiques et pesticides. Tout cela en contrepartie de salaires de misère leur permettant à peine de subvenir aux besoins de leur famille. Généralement les femmes travaillaient en compagnie de leur mari et parfois même leurs enfants venaient leur apporter leur aide.

Le fait historique : quand la grève tourne au drame

Février 74 : manifestation des ouvriers agricolesDès le 17 Janvier 1974, la Martinique est paralysée par des grèves. En vain, les ouvriers réclament des augmentations de salaires qui leur sont refusées par les patrons des plantations. A noter que le contexte est d'autant plus complexe que la Martinique vit dans un système encore colonial rappelant la période de l'esclavage.

Les patrons sont généralement des Békés (Blancs descendants des colons français) alors que les ouvriers sont généralement les descendants des esclaves et « coulis », les Indiens venus travailler dans l'île à la fin de l'esclavage entre 1853 et 1885.

Les ouvriers qui percevaient 25 francs pour une journée de travail réclament une augmentation pour atteindre la somme de 35,46 francs journaliers. Les parons refusent jusqu'au 13 février 1974 où ils proposent la somme de 32 francs. Cette proposition patronale est refusée par les ouvriers qui décident de poursuivre leur grève jusqu'à l'obtention de la somme réclamée. Ils décident alors se mobiliser en allant d'habitation en habitation pour expliquer la nécessité de tenir.

Face au refus de reprendre le travail des ouvriers et aux tensions qui régnaient dans les plantations, les patrons font alors appel aux policiers pour maintenir l'ordre. Face aux jets de pierre des ouvriers, ils répliquent à coups de gaz lacrymogène. La situation est tendue et amène au drame du 14 février 1974. Face aux nombreux foyers de protestation, le préfet décide qu'il faut mettre fin à la contestation ouvrière.

Rénor Ilmany et Georges Marie-LouiseEn milieu de matinée, des gendarmes sont envoyés à l'Habitation Chalvet à Basse-Pointe. Ils n'hésitent pas à avoir recours à leurs armes et tirent en direction des manifestants. De nombreux ouvriers sont blessés. L'un d'eux décède sur les champs de la protestation. Il s'agit d'Ilmany « Rénor » Sérier (à gauche sur la photo), âgé de 55 ans. Les gendarmes sont alors traités de meurtriers.

Deux jours après le 16 février, alors que Rénier Ilmany doit être enterré, le corps de Georges Marie-Louise (à droite sur la photo), jeune ouvrier maçon de 19 ans est retrouvé gisant sur une plage non loin de la plantation Chalvet. Des témoins racontent que le jeune maçon faisait partie des manifestants opposés aux forces de l'ordre deux jours plus tôt.

Lors des obsèques d'Ilmany des slogans de vengeance et anti-colonialistes sont scandés par la foule en colère et remontée contre le préfet Orsetti traité d'« assassin ». Les circonstances de la mort de Marie-Louise n'ont jamais été élucidées.

Conclusion

Le contexte de crise économique agricole en Martinique a conduit à ce drame encore présent dans toutes les mémoires notamment grâce à chanson de Kolo Barst « févriyé 74 ».

Quelques jours après ces deux décès, les syndicats rencontraient les patrons et signaient un protocole de fin de conflit. Plusieurs ouvriers agricoles et des militants indépendantistes ont cependant été arrêtés jusqu'à la fin de l'année 1974. Certains ont ensuite bénéficié d'une amnistie, histoire de ne pas réveiller les tensions dans un contexte encore tendu.

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