Mars 1946 : 70 ans de départementalisation !

Du statut de colonie à département

En Septembre 1635, la Martinique devenait une colonie française et le resterait les trois siècles qui suivent. Initialement, elle appartenait à la Compagnie des Isles d'Amérique, la société chargée d'administrer les colonies françaises en Amérique. Elle était régie par un gouverneur vivant sur place à Fort-Royal, capitale administrative de l'île. Il était chargé de mettre en place les lois royales, les faire appliquer et être la représentation et le lien direct entre l'île et la Royauté. Ce système concentrait entre les mains d'un homme tous les pouvoirs (armée, justice, législatif et exécutif). Il était choisi par le Roi.

En 1664, la Compagnie des Isles d'Amérique était remplacée par la Compagnie des Indes Occidentales. Elle serait désormais gérée par le Roi Louis XIV et son administrateur Colbert.

Après la Révolution Française en 1789, la France devenait une République où le texte de base était la constitution française. Le statut de colonie de la Martinique ne changeait pas. C'est toujours un gouverneur qui faisait office de relais du gouvernement dans l'île.

Aimé CésaireEn 1945, un jeune poète martiniquais, Aimé Césaire est élu maire de Fort-de-France. Son discours neuf dénonçant le colonialisme plaît à la population qui subit de plein de fouet des pénuries de nourriture et une envolée des prix. Les inégalités entre les Martiniquais et les citoyens de la métropole sont dénoncées. A cette époque, la Martinique faisait office de colonie et appartenait à l'Empire colonial français.

La loi de départementalisation : le 19 mars 1946

Dès l'abolition de l'esclavage, le statut de Martinique avait fait débat. Victor Schoelcher s'était déjà prononcé en faveur d'un changement de statut de la Martinique et était favorable à ce que la Martinique devienne un département français. Plus tard en juillet 1890, Vincent Allègre, alors Sénateur de la Martinique avait élaboré une proposition de loi avec Alexandre Isaac, sénateur de la Guadeloupe visant à faire des deux îles des Antilles des départements français.

Le député Joseph Lagrosillère en 1915 puis plus tard le sénateur Henry Lemery en janvier 1923 défendent également cette idée.

A la fin de Seconde Guerre Mondiale, le statut des colonies françaises fait débat en particulier celui des colonies basés en Amérique et dans la Caraïbe. Après de longs débats à l'Assemblée Nationale, la Martinique devient un département français par la loi promulguée le 19 mars 1946. Les lois françaises qui n'étaient pas encore appliquées dans l'île le seront désormais. 

Cette assimilation était souhaitée par la classe ouvrière et les employés agricoles en Martinique qui ne bénéficiait alors pas des lois de Léon Blum notamment la semaine de 40 heures.

Le texte de la loi du 46-451 du 19 mars 1946 prévoit :

Art. 1er. – Les colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française sont érigées en départements français.

Art. 2. – Les lois et décrets actuellement en vigueur dans la France métropolitaine et qui ne sont pas encore appliqués à ces colonies feront, avant le 1er janvier 1947, l’objet de décrets d’application à ces nouveaux départements.

Art. 3. – Dès la promulgation de la présente loi, les lois nouvelles applicables à la métropole le seront dans ces départements, sur mention expresse insérée aux textes. La présente loi, délibérée et adoptée par l’Assemblée nationale constituante, sera exécutée comme loi de l’État.

Ce changement de statut arrivait à un moment où la France avait mis en place un système d'assimilation dans ses colonies.

Des résultats décevants pour Césaire

Aimé Césaire qui avait ardemment défendu la départementalisation est déçu de la mise en place de cette loi en Martinique. Pour lui, la départementalisation ne constituait qu'une étape vers l'autonomie qu'il espérait tant. Il souhaitait que soit mis en place un gouvernement local capable de gérer au mieux les problèmes et les responsabilités locales. Peu de temps après la départementalisation, il dénonçait la mauvaise volonté du Gouvernement de mettre en place la loi de départementalisation.

En 1951, il déclare : « la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion et la Guyane sont devenues des caricatures de département français. Des caricatures oui ! Car, sur fond de misère atroce, de marasme économique et de chômage, on a vu réapparaître, rajeuni même et fortifié, le spectre du vieux colonialisme avec son cortège d’inégalités, de préjugés et d’oppression ».

Après ce constat, Aimé Césaire se pose en opposant du statut départemental. Cette idée est aussi celle des communistes, défenseurs de l'indépendance qui écrivent dans le journal Justice : « Malgré la loi du 19 mars 1946, la Martinique est un faux département. Elle demeure un pays dont les caractères économiques, sociaux, politiques et culturels sont typiquement coloniaux (…) Les Martiniquais doivent prendre une part beaucoup plus large à la gestion de leurs propres affaires. »

Même après sa rupture avec le Parti Communiste en octobre 1956, il persiste à critiquer l'assimilation et la départementalisation : « Qu’est-ce-que l’assimilation ? (…) C’est une doctrine politique et philosophique qui tend à faire disparaitre les particularités propres à un peuple et à tuer sa personnalité. Eh bien, je le dis tout net : l’assimilation ainsi entendue et ainsi définie, je suis contre l’assimilation (…) je suis contre l’assimilation départementalisation. [...] Je n’ai à l’égard de la départementalisation ni fétichisme, ni hostilité (…) je considère cette loi de circonstance, comme toute les lois, j’ajoute simplement qu’il me semble que cette loi ne répond plus aux conditions actuelles, et que si on veut la rendre fiable, il faut la concilier avec un accroissement des franchises et des libertés locales destinées à permettre aux Martiniquais de prendre une plus large part dans la gestion de leurs propres affaires, dans le cadre d’une République française décentralisée. »

De Gaulle et Césaire en MartiniqueLors d'une visite du président de l'époque, Charles de Gaulle en Martinique en 1964, Césaire prononce un discours réclamant une nouvelle fois des pouvoirs locaux pour régler les problèmes internes mais dut faire face à la réponse cinglante de De Gaulle : « Entre l’Europe et l’Amérique, il n’y a que des poussières, et on ne construit pas des États sur des poussières ».

En 1982, la Martinique sera dotée d'un Conseil Général et d'un Conseil Régional faisant de l'île un département et une région française.

Les désirs autonomistes de Césaire font peu à peu leur cheminement dans la population qui défend l'idée de plus de gouvernance localement. En 2003 pourtant, la population dit non à 54% à un référendum prévoyant la création d'une collectivités territoriale se substituant au Conseil Général et au Conseil Régional. En 2013, un référendum accordait à la Martinique, le droit être doté d'une collectivité territoriale unique. Cette collectivité donnerait à la Martinique plus de pouvoirs locaux en matière de développement économique, de développement sanitaire et social, d’aménagement du territoire, de développement culturel et scientifique, de la coopération régionale. En 2015, la Martinique a pu voter pour ses délégués territoriaux.

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