Spoiler, si le titre peut choquer sachez qu'il ne s'agit que du sens figuré et non du sens propre. De nombreux Martiniquais possèdent des chiens et apprécient la compagnie de l'animal le plus fidèle à l'homme.
Pourtant, quand on écoute les Martiniquais parler au quotidien, en particulier dans la langue créole il est courant de voir le mot « chien » utilisé de manière péjorative. Il faut dire que dans les expressions et les proverbes créoles, le mot chien est constamment utilisé de manière peu flatteuse.
Le chien trahit, il est orgueilleux, hypocrite, moins que rien et égoïste. On ne lui trouve quasiment jamais de qualités. Pire il est associé à la mauvaise fortune ou au mal. Le chien n'est jamais perçu comme l'ami de l'homme mais comme celui qui veut sa perte.
Parfois les proverbes antillais peuvent paraître atroce vis-à-vis de ce dernier notamment « Chyen maré sé pou bat ! ».
Plusieurs auteurs renommés de la littérature antillaise ont également utilisé le chien péjorativement, Patrick Chamoiseau dans l'Esclave vieil homme et le molasse et Aimé Césaire dans Et les chiens se taisaient. Pour Patrick Chamoiseau il s'agit d'un instrument dressé par l'homme blanc contre l'homme noir. Il devient un être humain, un monstre révélateur de la réalité. C'est un exterminateur d'humains.
Pour Aimé Césaire, il s'agit de la société actuelle qui refuse de se lever pour défendre ses valeurs, pour crier ses révoltes et ses colères.
Nous ne ferons pas durer le suspense plus longtemps, il faut savoir que les proverbes et expressions créoles remontent à la période de l'esclavage. A l'époque les chiens étaient utilisés par les maîtres de plantation pour rattraper et retrouver les nègres marrons, à savoir les esclaves fuyant leurs dures conditions de vie. Pistés puis stoppés par les chiens lors de battues du marronnage, les fugitifs étaient alors ramenés à la plantation et subissaient des atrocités et punitions corporelles. En cas de récidive, la punition suprême s'appliquait alors pour les rebelles ; ils étaient livrés vivants à des chiens affamés qui les dévoraient.
Pendant toute la période de l'esclavage, le chien était alors l'ennemi de l'homme noir. Le chien est synonyme de châtiment.
Ces chasses à l'homme et l'horreur qui en a découlé ont fait que pendant longtemps même après l'esclavage, les Noirs ont continué à avoir une peur congénitale du chien.
De plus, les habitations des Békés affichaient très souvent une pancarte : « Attention chien méchant ». Il en fut de même pour les métropolitains arrivés après la période de l'esclavage.
Il aura fallu plusieurs générations pour que les Noirs martiniquais se familiarisent avec le chien et l'adopte comme animal de compagnie.
C'est la raison pour laquelle dans la littérature ou les expressions le chien est perçu comme l'ami des Blancs et l'ennemi des Noirs. Durant cette même période en Europe, les ouvrages qui traitaient du chien était très flatteurs sur l'animal. Les éloges étaient nombreux et il était même perçu comme plus fiable et plus fidèle que l'humain. Les proverbes et expressions ayant persisté au delà des siècles c'est ainsi que cette perception a persisté dans la conception des Antillais.
A noter que cette idée n'était pas propre qu'aux Martiniquais mais commune à tous les Noirs ayant vécu l'esclavage. Dans toute la Caraïbe ou aux États-Unis, le chien était utilisé pour les battues et chasses des esclaves ayant fui la plantation. Il est donc commun de retrouver des illustrations américaines sur l'évasion de Noirs esclaves et d'y voir des molosses à la recherche des fuyants (cf. scène atroce le film dans Django unchained).
Cependant, aujourd'hui si l'utilisation du mot chien reste malgré tout négative, l'animal est très apprécié localement est devenu de manière définitive comme l'ami de l'homme.
Illustrations :
Fugitive Slave Attacked by Dogs, 19th cent. Isabelle Aguet, A Pictorial History of the Slave Trade (Geneva, Editions Minerva, 1971)
Escaping Slavery, U.S. South, 1850s, Anon., The Suppressed Book About Slavery! Prepared for Publication in 1857 (New York, 1864)