Frantz Omar Fanon était un psychiatre et essayiste martiniquais. Médecin psychiatre, écrivain, combattant anti-colonialiste, Frantz Fanon a marqué le 20ème siècle par sa pensée et son action, en dépit d'une vie brève frappée par la maladie.
Frantz Fanon est né le 20 juillet 1925 à Fort-de-France en Martinique. Il est le cinquième enfant d’une famille métissée comptant huit personnes. Il reçoit son éducation au lycée Victor Schœlcher de Fort-de-France où Aimé Césaire enseigne à l’époque.
Dénonciation du racisme
En 1943, il s'engage dans l'armée régulière après le ralliement des Antilles françaises au général de Gaulle. Combattant avec l'armée française du général de Lattre de Tassigny, il est blessé dans les Vosges. Parti se battre pour un idéal, il est confronté à « la discrimination ethnique, à des nationalismes au petit pied ».
Il retourne ensuite en Martinique, où il passe le baccalauréat. Après l'obtention de son baccalauréat, il part pour la France métropolitaine. Ayant reçu une citation par le Général Salan, il obtient une bourse d'enseignement supérieur à titre d'ancien combattant, ce qui lui permet de faire des études de médecine, tout en suivant des leçons de philosophie et de psychologie à l'Université de Lyon.
De son expérience de noir minoritaire au sein de la société française, il rédige «Peau noire, masques blancs », un livre où il dénonce le racisme et la « colonisation linguistique » dont il est l'une des victimes en Martinique. Mais ce livre est mal perçu à sa publication en 1952.
En voici, un extrait : « Dois-je sur cette terre, qui déjà tente de se dérober, me poser le problème de la vérité noire ? Dois-je me confiner dans la justification d'un angle facial? Je n'ai pas le droit, moi homme de couleur, de rechercher en quoi ma race est supérieure ou inférieure à une autre race.
Je n'ai pas le droit, moi homme de couleur, de me souhaiter la cristallisation chez le blanc d'une culpabilité envers le passe de ma race. Je n'ai pas le droit, moi homme de couleur, de me préoccuper des moyens qui me permettraient de piétiner la fierté de l'ancien maître. Je n'ai pas le droit ni le devoir d'exiger réparation pour mes ancêtres domestiques. Il n'y a pas de mission nègre ; il n'y a pas de fardeau blanc.
Je me découvre un jour dans un monde où les choses font mal ; un monde où l'on me réclame de me battre ; un monde où il est toujours question d'anéantissement ou de victoire. Je me découvre, moi homme, dans un monde où l'autre, interminablement, se durcit. Non, je n'ai pas le droit de venir et de crier ma haine au blanc. Je n'ai pas le devoir de murmurer ma reconnaissance au blanc.
Il y a ma vie prise au lasso de l'existence. Il y a ma liberté qui me renvoie à moi-même. Non, je n'ai pas le droit d’être un noir. Un seul devoir. Celui de ne pas renier ma liberté au travers de mes choix. »
Frantz Fanon évoquera à de multiples reprises le racisme dont il se sent victime dans les milieux intellectuels parisiens, affirmant ainsi « le sud américain est pour le nègre un doux pays à côté des cafés de Saint-Germain ».
Engagement pour l'indépendance de l'Algérie
En 1953, il est nommé médecin-chef de l'hôpital psychiatrique de Blida où il introduit des méthodes modernes de « sociothérapie » ou « psychothérapie institutionnelle » qu'il adapte à la culture des patients musulmans algériens. Il entreprend ensuite, avec ses internes, une exploration des mythes et rites traditionnels de la culture algérienne.
Sa volonté de désaliénation et décolonisation du milieu psychiatrique algérien s'oppose de front aux thèses de l'École d'Alger d'Antoine Porot : « Hâbleur, menteur, voleur et fainéant le nord-africain musulman se définit comme un débile hystérique, sujet de surcroît, à des impulsions homicides imprévisibles ».
« L’indigène nord-africain, dont le cortex cérébal est peu évolué, est un être primitif dont la vie essentiellement végétative et instinctive est surtout réglée par le diencéphale ».
« L’Algérien n’a pas de cortex, ou, pour être plus précis, il est dominé, comme chez les vertébrés inférieurs, par l’activité du diencéphale ».
Pour Fanon, c'est bien plutôt la colonisation qui entraîne une dépersonnalisation, qui fait de l'homme colonisé un être « infantilisé, opprimé, rejeté, déshumanisé, acculturé, aliéné », propre à être pris en charge par l'autorité colonisatrice.
« La première chose que l’indigène apprend, c’est à rester à sa place, à ne pas dépasser les limites. C’est pourquoi les rêves de l’indigène sont des rêves musculaires, des rêves d’action, des rêves agressifs. Je rêve que je saute, que je nage, que je cours, que je grimpe. Je rêve que j’éclate de rire, que je franchis le fleuve d’une enjambée, que je suis poursuivi par une meute de voitures qui ne me rattrapent jamais. Pendant la colonisation, le colonisé n’arrête pas de se libérer entre neuf heures du soir et six heures du matin. Cette agressivité sédimentée dans ses muscles, le colonisé va d’abord la manifester contre les siens. C’est la période où les nègres se bouffent entre eux et où les policiers, les juges d’instruction ne savent plus où donner de la tête devant l’étonnante criminalité nord-africaine. »
En 1956, deux ans après le déclenchement de la guerre de libération nationale en Algérie, Frantz Fanon choisit son camp, celui des colonisés et des « peuples opprimés ».
Il remet sa démission de son poste à l'hôpital et rejoint le Front de Libération Nationale (F.L.N.) en Algérie. Il eut d'importantes responsabilités au sein du F.L.N. Il rejoint le F.L.N. à Tunis, où il collabore à l'organe central de presse du F.L.N., El Moudjahid.
Il fut chargé de mission auprès de plusieurs états d'Afrique noire puis ambassadeur du Gouvernement provisoire de la République algérienne (G.P.R.A.) au Ghana.
Ses écrits
Dès ses premiers écrits, Fanon ne cesse de se référer au philosophe Jean-Paul Sartre (notamment à Réflexions sur la question juive, Orphée noir, et L'Être et le Néant). À la publication de la Critique de la raison dialectique (1960), il se fait envoyer une copie de l'ouvrage et il parvient à le lire malgré son état de santé (leucémie). Il fait même une conférence sur la Critique de la raison dialectique aux combattants algériens de l'Armée de libération nationale.
C'est en 1960 qu'il demande à Claude Lanzmann et Marcel Péju, venus à Tunis pour parler au dirigeant du G.P.R.A., de rencontrer le philosophe. Il veut également que Sartre préface son dernier ouvrage, « Les Damnés de la Terre ». Il rencontre Sartre à Rome pendant l'été 1961.
Sartre interrompt son strict régime de travail pour passer trois jours entiers à parler avec Fanon. Comme le raconte Claude Lanzmann, « pendant trois jours, Sartre n’a pas travaillé. Nous avons écouté Fanon pendant trois jours. […] Ce furent trois journées éreintantes, physiquement et émotionnellement. Je n’ai jamais vu Sartre aussi séduit et bouleversé par un homme. » (Le lièvre de Patagonie). L'admiration est réciproque, comme le rapporte Simone de Beauvoir:
« Fanon avait énormément de choses à dire à Sartre et de questions à lui poser ». «Je paierais vingt mille francs par jour pour parler avec Sartre du matin au soir pendant quinze jours », dit-il en riant à Lanzmann.» (La Forces des choses). Il échappa à plusieurs attentats au Maroc et en Italie.
Jusqu'à sa mort, Frantz Fanon s'est donné sans limites à la cause des « peuples opprimés ». Atteint d'une leucémie, il se fait soigner à Moscou, puis, en octobre 1961, à Washington, il se retire pour écrire son dernier livre « les Damnés de la Terre ». Il meurt le 6 décembre 1961. Il est inhumé au cimetière des Chouhadas (cimetière des martyrs de la guerre) près de la frontière algéro-tunisienne, dans la commune d'Aïn Kerma (wilaya d'El-Tarf) de Tunis.
Il laisse derrière lui son épouse, Marie-Josèphe Dublé, dite Josie (morte le 13 juillet 1989 et inhumée au cimetière d'El Kettar au cœur d'Alger), et deux enfants : Olivier né en 1955 et Mireille qui épousera Bernard Mendès-France (fils de Pierre Mendès France).
En hommage à son travail en psychiatrie et à son sacrifice pour la cause algérienne, l'hôpital de Blida-Joinville où il a travaillé porte désormais son nom.