Stéphanie St. Clair la "Queen" de Harlem

Painting by Auguste Biard on the Abolition of slaverySi des Martiniquais ont fait parler d’eux à travers leur portée littéraire, leurs combats pour la liberté et l’émancipation des peuples ou encore les performances artistiques, il y a aussi des Martiniquais qui dont les actions ont été plus controversées.

C’est le cas d’une femme martiniquaise, Stéphanie St. Clair qui a été à la tête d’un gang de Harlem dans les années 20-40.

Née à Fort-de-France le 24 décembre 1897, Stéphanie St. Clair voit le jour dans une Martinique où l’esclavage avait été aboli depuis presque cinquante ans. A cette époque, les femmes émancipées ne pouvaient prétendre au statut de citoyennes qu’à condition de se marier or sa mère ne l’était pas et ne sera donc jamais une citoyenne. A la mort de celle-ci en 1908, elle se retrouve sans représentant officiel. En 1910, elle décide alors de partir aux États-Unis où on recherche des domestiques francophones. Elle ne maîtrisait pas l’anglais à l’époque.

Elle transite par Marseille où elle est obligée de mentir sur son âge et son lieu de naissance étant trop jeune pour effectuer la traversée sans représentant sur le paquebot Du Virginie sans représentant. Sur ses nouveaux papiers, il est alors inscrit qu’elle est née à Marseille en 1887 soit dix ans avant sa naissance en Martinique.

Elle arrive alors dans un Harlem qui accueillait une importante quantité d’Afro-Américains et de Caribéens venus s’installer dans le quartier après l’extension de la ligne de métro.

Stéphanie St. Clair s’accoutume rapidement à la vie de Harlem. Elle était décrite comme étant sophistiquée, passionnée de mode et bien intégrée aux codes de la vie urbaine. Sa prestance lui valait même d’être appelée Madame St.Clair dans tout Harlem. A Manhattan et dans le reste de la ville, elle était surnommée « Queenie ».

St. Clair devient une « banquière politique » en développant la première banque de numéros située à Harlem. A l’époque, les banques de numéros organisaient tout plein d’activités illicites appelées raquettes qui étaient en fait des investissements, des jeux d’argent et de loterie. Les banques n’acceptant pas les clients noirs, c’était l’une des solutions que ces derniers choisissaient pour investir leurs revenus. Cette pratique qui était illégale a fourni une quantité surprenante de richesse et d’emplois.

Avec ses acolytes comme Ellsworth « Bumpy » Johnson, elle se fait rapidement une fortune dans le crime dans le New York noir. Avec un capital de départ de 10 000 dollars, elle réussit à dégager un quart de millions de dollars en une année, puis progressivement au fil du temps, règne en maître à Harlem dans les années 30.

Elle était également extrêmement axée sur la communauté. La plupart de ses nombreuses annonces dans les journaux ont été consacrées à éduquer ses voisins sur leurs droits, à défendre le droit de vote des Noirs et à dénoncer la brutalité policière.

Elle dépensait également son argent dans de nombreux projets communautaires. Elle a notamment créé un fonds juridique pour aider les nouveaux immigrants francophones. Elle s’assurait que tous ses employés soient habillés de manière impeccable. Elle traitait les habitants d’Harlem avec la plus grande courtoisie.

A noter que Stéphanie St. Clair a vécu dans le même immeuble que plusieurs personnalités noires de l’époque : CJ Walker, WEB Du Bois ou encore Thurgood Marshall.

A partir de 1932, un certain nombre de gangsters blancs qui ont vu leurs profits diminuer suite à la Grande Dépression et la fin de la Prohibition se tournent vers la société de jeu illégal de Harlem pour compléter leurs pertes de revenus.

Une coalition de gangsters hors-Harlem dirigée par Dutch Schultz engagent une guerre sanglante contre St. Clair et ses alliés pour contrôler le crime organisé dans cette communauté. Plus de 40 personnes ont été tuées dans les violences liées aux gangs, y compris souvent le milieu d’opérateur de numéros.

Bien que Dutch Schultz tentait de l’intimider en lui passant des appels téléphoniques pour la menacer, en kidnappant et assassinant ses hommes ou encore rachetant certains policiers, il ne réussira cependant jamais à l’impressionner.

Malgré les violences que subissaient le clan St. Clair-Johnson, ils refusent de se soumettre à Schultz et pire St. Clair décide de se défendre à tout prix. Quand Schultz envoie un subalterne pour l’intimider, elle pousse le subalterne dans un placard, l’enferme et appelle quatre énormes gardes du corps pour « prendre soin de lui ».

Sa vengeance sera terrible. Elle attaque et détruit alors les vitrines de toutes les entreprises qui géraient les opérations de paris de Schultz. Elle va à la police dénoncer les activités de celui-ci ce qui les amène a faire une descente dans les locaux de ce dernier pour arrêter 14 employés et saisir environ 2 millions de dollars. Elle s’en vantera par la suite dans la presse.

Lorsque Schultz est hospitalisé en Octobre 1935 après avoir été reçu plusieurs balles dans l’estomac, elle lui envoie un télégramme sur son lit de mort disant simplement « Tu as semé, tu récoltes aussi », basé sur le verset de la bible : « Ce qu'un homme aura semé, il le récoltera aussi. » (Galates 6, verset 7) signé « Madame la reine des politiques ».

Sa bataille contre Schultz va la faire quitter le milieu de banque de numéros. Elle remet sa banque entre les mains de son protégé, le violent « Bumpy » Johnson et n’hésite pas à indiquer publiquement où elle se trouve et ce qu’elle fait.

Avec Johnson qui la protégeait, Schultz décédé et son nouveau désir de rester dans le droit chemin, St. Clair va user de sa célébrité pour lutter ou défendre des causes de la communauté noire. Elle plaide en faveur d’une réforme politique.

C’est ce nouveau rôle qui l’emmènera à rencontrer son futur époux, Sufi Abdul Hamid, un militant portant un turban, surnommé par la presse « Black Hitler » pour ses positions ouvertement antisémites. Ce dernier, menait une campagne pour boycotter les entreprises qui n’employaient pas de Noirs. Il dirigeait également une mosquée et affirmait être un descendant des pharaons égyptiens.

Son mariage, tumultueux depuis le début, ne durera pas longtemps et quelques années après les noces, en janvier 1938, Hamid est abattu en se rendant chez un avocat. St. Clair est accusée du meurtre pour diverses raisons notamment l’adultère de celui-ci. En effet, son mari la trompait avec une diseuse de bonne aventure et utilisait l’argent qu’elle avait gagné dans des entreprises avec sa maîtresse.

Bien qu’ayant fermement démenti avoir tué son époux, le jury entièrement blanc déclare Madame St. Clair coupable du crime et la condamne à 2 à 10 ans de prison d’État.

Après 3 ans de prison, St. Clair continuera son combat pour les droits civils et économiques des Noirs-Américains tout en évitant toute entreprise criminelle. Elle sera protégée par « Bumpy » Johnson jusqu’à la mort de ce dernier d’une crise cardiaque en 1968. Elle décède 18 mois après, en 1969 dans la ville de Central Islip, à Long Island dans l’état de New York.

Elle a été enterrée au cimetière de Trinity Church dans le sud de Manhattan.

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