Le 22 mai 1848, l’esclavage est aboli en Martinique. La société martiniquaise se structure en gardant des stigmates du passé et des plaies ouvertes. Les Békés les descendants des colons français possédaient encore toutes les richesses et la classe émergente était celle des mulâtres et libres de couleur.
La Martinique post-esclavage
Situation économique
Le sucre de canne qui avait fait la fortune de la Martinique se retrouve désormais en concurrence avec celui de betterave une fois arrivé sur les marchés européens. La demande est moins importante et la Martinique connaît une crise sucrière en 1883. En Martinique, la sucrerie traditionnelle des petits planteurs qui fabrique du sucre roux (25 francs/quintal) est en concurrence avec les usines des Békés qui produisent du sucre blanc (36 francs/quintal) de meilleure qualité.
La crise sucrière profite aux familles Békés qui vont étendre leurs propriétés en rachetant à bas prix les terres des petits planteurs qui ont fait faillite. Beaucoup de Martiniquais ayant perdu leur emploi profitent de l’opportunité pour s’expatrier sur les travaux du Canal du Panama où il y a une forte demande de main d’œuvre.
Le Gouverneur de Martinique de l’époque utilise même les termes de « désastres financiers » pour parler de la situation économique de l’île. Du côté des ouvriers agricoles qui constituent la majorité de la population active de l’époque, le salaire journalier baisse de 1 franc. Cela accroît les tensions sociales entre les patrons qui font face à des difficultés colossales pour exporter leur sucre et les ouvriers agricoles qui voient leurs revenus impactés par la situation.
Situation sociale
L’abolition de l’esclavage n’avait nullement résolu les écarts colossaux qui existaient dans les hiérarchies sociales et raciales. Bien au contraire, les Békés étaient encore plus riches qu’au début de l’esclavage, leurs propriétés terriennes s’étaient accrues et les anciens esclaves continuaient de travailler pour leurs anciens maîtres.
La nouvelle devise de la République « liberté, égalité, fraternité » restait très théorique car en réalité les lois protégeaient toujours les puissants et la politique menée dans les territoires restait colonialiste. En Martinique, il s’agissait la classe bourgeoise française liée à l’exploitation des colonies et la classe bourgeoise de Martinique. Même les partis politiques qui défendaient les ouvriers restaient des promoteurs de l’impérialisme français.
Les ouvriers agricoles
Au plus de bas de l’échelle sociale, on retrouvait les ouvriers noirs et les « Koulis » (travailleurs originaires d’Inde et de la région du Congo pour combler le manque de main-d’œuvre après l’abolition de l’esclavage). L’ouvrier agricole vivait toujours sur les plantations dans des cases en paille avec le sol en terre battue. Les horaires de travail étaient illimités par contre le salaire fluctuait selon que la situation économique soit bonne ou mauvaise. Le salaire était le « caïdon », un morceau de métal de cuivre portant les initiales du propriétaire. Cette indemnité forçait l’ouvrier à consommer que dans la boutique de son employeur car elle n’avait aucune valeur une fois les barrières de l’Habitation franchie. Cette pratique s’est arrêtée en 1912.
Les ouvriers agricoles vivaient dans une misère totale et la faible rémunération perçue ne leur permettait même pas de se nourrir ainsi que leur famille sans être débiteur auprès de leur employeur. Le salaire journalier n’augmente pas pendant des décennies (1849-1880) bien que les prix augmentent.
L'ouvrier agricole ce n'était pas seulement le père de famille qui travaillait dans les champs, c'était aussi sa femme qui était amarreuse c'est à dire les femmes qui liait avec des cordes les cannes coupées par leurs maris et aussi ses enfants qui n'allaient pas à l'école, bien qu'obligatoire, car ils devaient travailler pour aider aux revenus de la famille.
Les propriétaires terriens
Il y avait aussi des petits propriétaires terriens qui avaient acquis un lopin de terre à la fin de l’esclavage. Ils cultivaient soit des cultures vivrières ou encore de la canne à sucre qu’il vendait à l’usine.
L’usine les payait en fonction du prix de vente du sucre et la crise faisait que leurs revenus étaient minimes. Certains étaient propriétaires de la surface agraire dont ils disposaient et d’autres n’étaient pas propriétaires du sol. Dans cette situations, les petits exploitants se chargeaient juste de cultiver des terres et les entretenir. Les propriétaires leur fournissaient la moitié des engrais, transportaient les cannes à l’usine et conservaient entre 1/3 et la moitié des revenus récoltés. Ce type de système est appelé le colonage. Il était avantageux surtout pour les propriétaires moyens qui ne disposent que de capitaux limités.
Les Békés
Les Békés étaient les descendants des anciens colons. Ils étaient au sommet de la hiérarchie. Ils possédaient la majorité des terres et des richesses. Les ouvriers agricoles et les propriétaires terriens travaillaient pour les Békés qui possédaient les différentes usines de l’île.
Début du syndicalisme en Martinique
Les sociétés de secours mutuels
En Septembre 1870, la France redevient une République, la 3ème fois de son histoire et ce changement vient avec tout plein d’avancées démocratiques comme le suffrage universel masculin, l’arrivée de Conseils municipaux et généraux où les parlementaires représentent les différents courants et toutes les composantes de la société et la liberté de la presse pour favoriser l’expression populaire.
En 1880, les premiers syndicats apparaissent en France métropolitaine et la Martinique va rapidement suivre le mouvement. En Martinique, les syndicats seront les voix de causes comme le racisme et les inégalités sociales et économiques hérités de la période esclavagiste.
Mais avant l’arrivée des syndicats, la Martinique va voir la naissance de ce qu’on appelle des sociétés de secours mutuels. Les sociétés de secours mutuels étaient avant tout des groupements solidaires pour défendre des causes communes, soutenir les ouvriers en incapacité de travailler des suites d’une maladie ou d’un accident ou financer leurs funérailles. Les ouvriers payaient une souscription et en échange ils avaient droit à certaines aides (paiement de médicament et des soins chez le médecin en cas de maladie, pension garantie en cas d’incapacité à travailler, paiement des frais funéraires en cas de décès). La première société de secours mutuel fut créée à Saint-Pierre et s’appelaient « Le Progrès ». Après furent créées « L’Avenir de Case-Navire », Case-Navire étant l’ancien nom de la commune de Schœlcher, « l’Union Républicaine du Prêcheur » en 1886 ou encore « L’Avenir » et « La Fraternité » à Basse-Pointe.
12 sociétés rassemblaient à elle toute 582 adhérents actifs et 129 membres d’honneur. Plus tard va apparaître « L’Avenir » de Ducos et « Union et Fraternité » de Rivière-Pilote en 1890.
Comme pour devenir membre il fallait payer une cotisation, beaucoup d’ouvriers n’avaient pas les revenus nécessaires pour y souscrire et ainsi profiter des aides qu'offraient les sociétés de secours mutuels. Les communes participaient aussi à l’effort. Ainsi Fort-de-France et Saint-Pierre leur accordaient la somme de 500 francs chaque année et les autres communes participaient à hauteur de 200 à 300 francs.
Les sociétés de secours mutuels étaient soutenues par les politiques de l’époque. D’ailleurs Delphino Moracchini le gouverneur de l’île en 1890, avait même écrit au ministre pour se réjouir de leur popularité dans la population.
Les sociétés de secours mutuels étaient l’ancêtre de ce qu’est la Sécurité Sociale aujourd’hui.
Ce modèle de mise en commun de biens dans l’intérêt de tous allait aussi être les prémices des syndicats qui allaient apparaître en Martinique en 1884 suite à une loi nationale les autorisant.
La naissance des syndicats en Martinique
En 1884, après 8 années de débats à l’Assemblée Nationale, une loi appelée « Waldeck-Rousseau » est promulguée le 21 mars 1884 autorisant la formation de syndicats. Avocat, Républicain convaincu et passionné par la question sociale, Pierre Waldeck-Rousseau (1846-1904), est nommée Ministre de l’Intérieur de Léon Gambetta en 1881 et Jules Ferry en 1883. C’est au cours de ce mandat qu’il fera voter une loi autorisant la formation de syndicats.
Attention cependant cette loi interdit la création de syndicats dans la fonction publique. Il faudra attendre 1946 pour qu’ils soient à autorisés pour les fonctionnaires.
Les syndicats seront créés dès l’année de la promulgation en Martinique avec cependant des débuts délicats. Les ouvriers avaient peur d’y adhérer et ainsi subir les représailles de leur patron et aussi d’être mal vus par ces derniers. D’ailleurs les premiers syndicats avaient des patrons en leur sein.
En 1899, il y avait 2 syndicats patronaux, le syndicat agricole (38 membres) et le syndicat des fabricants de sucre (74 membres). Plus tard vont apparaître des syndicats pour tous les corps de métiers comme par exemple l’Association des Médecins qui voit le jour en 1893 et avait 25 membres sous la présidence du Docteur Morestin.
Le premier syndicat ouvrier apparait en 1886. C’était celui des tonneliers (artisans fabriquant les tonneaux) avec 173 membres en 1886. Le Président est Félix Loubé qui annonce : « Le 15 Septembre 1886, les ouvriers tonneliers de Saint-Pierre se sont réunis à l’effet de constituer un syndicat professionnel dans le but de se fraterniser, se soutenir au travail et combattre les abus des patrons ». Les problèmes allaient cependant se multiplier. La variole allait décimer ses adhérents et un cyclone allait aussi amplifier la mauvaise passe. De plus, ils faisaient face à la concurrence de tonnellerie mécanique de Fond-Coré à Saint-Pierre.
La classe ouvrière de l’époque connaissaient de multiples problèmes tels que les catastrophes naturelles, les épidémies, le chômage, la réduction du temps de travail, l’industrialisation et donc la concurrence face aux machines et par conséquent une misère généralisée.
Les différentes crises et changements économiques de l’époque accentuaient les difficultés rencontrées par les ouvriers. Les tonneliers étaient vus en modèle pour lutter contre les abus du patronat.
Il n’y avait par contre pas de syndicats pour les ouvriers agricoles et ceux des usines qui à l’époque constituait la majorité de la main d’œuvre. En cas de problème majeur avec le patron d’une Habitation, les ouvriers réagissaient en incendiant les champs ou les cases à bagasses. Parfois la détresse ouvrière était telle que l’ouvrier décidait de mettre fin à ses jours en se pendant.
Les premières grèves
Janvier 1882 (Sainte-Marie et Trinité)
Les premières grèves en Martinique auront lieu avant même l’autorisation des syndicats. Ainsi en Janvier 1882 à Sainte-Marie et Trinité les ouvriers apprennent que le gouverneur a décidé de fixer le minimum salarial à 3 francs par jour. Dès lors, ils parcourent les campagnes afin d’informer tous les ouvriers agricoles sur les plantations environnantes de ne plus accepter de travailler pour un salaire inférieur au minimum fixé par le gouverneur.
Les ouvriers se mettent donc en grève et certaines habitations doivent faire face à un arrêt total de travail. Les ouvriers récalcitrants sont empêchés de travailler et voient leurs outils être brisés. En réaction, le géreur tire sur les grévistes et des blessés sont à déplorer dont François Odon considéré comme l’un des leaders du mouvement. Plusieurs grévistes sont arrêtés mais rapidement relâchés car acquittés.
Les maires de Sainte-Marie et Trinité doivent intervenir pour rétablir le calme.
Bien que de courte durée et localisée que sur les deux communes, cette grève va marquer l’esprit des patrons qui redoutent des grèves et des arrêts de travail comme cela était le cas en France métropolitaine à la même période. Aussi, ils n’hésitèrent pas à rapporter les faits en métropole dans la presse et auprès du Ministre et parler même de « menace sur la vie des Blancs ».
Divers arrêts de travail
L’arrivée du sucre de betteraves dans les assiettes des Européens allait fragiliser le sucre de canne des Antilles et les conséquences seraient dramatiques pour les ouvriers. La production mondiale qui était e 4 millions de tonnes dans les années 1880 passe à 12 millions dans les années 1900. Avec la concurrence du sucre de betterave, les prix d’exportation du sucre de canne s’effondrent, passant de 57 francs pour 100 kg de sucre dans les années 1880 à 40 francs dans les années 1895. Les exportations de la Martinique régressent de 39 à 18 millions de francs. Aussi, face aux conjonctures défavorables, les baisses de revenus des planteurs se répercutent sur les salaires des ouvriers.
Les planteurs cherchent à imposer une diminution des salaires aux ouvriers. En 1885, les baisses de salaire concernent tous les ouvriers de l’île.
Au François suite à une baisse de 20% du salaire des ouvriers agricoles, ces derniers se mettent en grève en Janvier 1885 et refusent de travailler pendant quelques jours.
Au Robert à la même période, des ouvriers agricoles refusent de reprendre le travail. Les gendarmes sont très vite appelés par les géreurs de l’Habitation.
Presque partout dans l’île le salaire des ouvriers agricoles n’était plus que de 75 centimes par jour. Les propriétaires estimaient que vu que les ressources vivrières abondaient en Martinique, les ouvriers n’avaient pas besoin de davantage de revenus.
M. Braud alors directeur de l’usine du Marin disait même : « La vie y est facile, les fruits à pain et mangots tombent du ciel, les crabes sortent de terre, le poisson et les écrevisses abondent. Il n’y a pas d’hiver. Le peuple est pauvre, mais jamais malheureux ».
Quand les revenus augmentent les Békés ne répercutent pas leurs hausses de revenus sur la vie des ouvriers. D’ailleurs ces derniers doivent redoubler d’efforts pour percevoir le même salaire. Vu que la conjoncture était mauvaise, les ouvriers se plient aux demandes du patronat.
La Grande Grève de Février 1900
La grande grève de Février 1900 est considérée à juste titre comme le début du mouvement ouvrier en Martinique. Il faut dire que les précédentes grèves avaient été soit dans des communes ou des habitations suite à des revendications des ouvriers mais n’avaient jamais concerné l’ensemble de l’île dans un mouvement commun.
Comme évoqué précédemment, à la fin du 19ème siècle, la Martinique est touchée de plein fouet par la crise sucrière. Les planteurs dont les revenus et les exportations avaient chuté, décident de baisser le salaire des ouvriers tout en augmentant leur charge de travail. Les ouvriers étaient payés à la tâche. La base établie en 1850 était la coupe de 300 pieds de canne à sucre contre 2 francs par jour mais, en 1885, les planteurs demandent aux coupeurs de canne d’abattre entre 700 et 900 pieds de canne à sucre pour percevoir 1 franc journalier.
Aussi, les patrons de la plantation n’hésitaient pas à « piquer » les ouvriers c’est-à-dire que les ouvriers se voyaient refuser leur salaire suite à une malfaçon. Sous n’importe quel prétexte comme par exemple qu’il manque un tronçon dans les piles de canne et les ouvriers étaient privés de revenus.
Au niveau des chiffres, la Martinique comptait également 113 rhumeries avec une majorité de distilleries se trouvant à Saint-Pierre mais le rhum était sur le déclin et loin de son apogée en 1880 quand la Martinique produisait ⅓ de la production de rhum mondiale !
20 usines étaient en fonctionnement (Trinité (3 usines), Sainte-Marie, le Lorrain, Rivière-Salée, Lamentin et François (2 chacune), Fort-de-France, Saint-Pierre (photo ci-contre), Sainte-Luce, Marin, Vauclin, Robert, Basse-Pointe (1 chacune)).
Ces usines étaient concentrées dans les mains des grandes familles Békés (Hayot, Laguarrigue, Despointes, De Pompignan, Fernand Clerc) qui étaient liées entre elles par des liens matrimoniaux. Profitant de la crise sucrière qui frappait plus durement les petits planteurs, les Békés n’avaient pas hésité à racheter les terres de ces derniers, endettés, pour agrandir leurs possessions et leur surface agraire.
Suite à des arrêts de travail, les ouvriers de Basse-Pointe et Sainte-Marie avaient obtenu de passer de 1,20 franc à 1,50 franc par jour et le bruit s’était répandu dans le reste de l’île.
C’est dans ce contexte que débute la Grande Grève de Février 1900. Les ouvriers qui avaient fait des sacrifices au plus dur de la crise réclament des bénéfices maintenant que la situation est meilleure.
La grève éclate le Lundi 5 Février sur quelques habitations entre le Marigot et Sainte-Marie. Les ouvriers qui percevaient 1 franc par jour réclament tantôt 1,50 franc, tantôt 2 francs et de revenir à la base de 300 coupes de canne à sucre par jour : « Tant que la crise a sévi, nous avons souffert ; aujourd’hui que les affaires sont belles, nous demandons à être mieux traités. A Basse-Pointe et à Vivé, le salaire a déjà été augmenté ; les directeurs d’usine ont reçu des augmentations de solde et les actionnaires ont touché de gros bénéfices. Nous demandons nous aussi notre petit bénéfice : nous voulons le salaire de 1,50 franc au lieu de 1 franc. Nous voulons aussi que la tâche soit fixée à trois cents pieds de cannes ».
Pour replacer dans le contexte, 1 franc c’était le prix d’un kilo de morue à l’époque, même un kg de viande de bœuf coûtait 2 francs.
La grève devient une « grève marchante » c’est-à-dire que les grévistes, au nombre de 500 environ marchent d’habitation en habitation pour convaincre les ouvriers de rejoindre leur mouvement. Dès le lendemain, ceux du Lamentin et notamment des habitations qui alimentent l’usine de Soudon et Lareinty les rejoignent et cessent le travail.
Le Gouverneur Gabrié envoie des soldats et des gendarmes à Trinité qui vont procéder à des arrestations de grévistes.
Le 8 février, la grève s’étend au Robert, puis dans le nord, au Galion à Trinité et aussi l’usine du François.
C’est devant cette usine que se produira le drame. Le Lieutenant Kahn à la tête d’un détachement de 15 soldats prétend avoir été attaqué et demande aux militaires de tirer sans sommation sur les grévistes rassemblés au même moment où le Maire de la commune, Homère Clément débattait avec ceux-ci. Le Maire tente de s’opposer aux militaires en leur demandant de ne pas tirer mais ces derniers s’exécutent. Homère Clément ne fut pas touché mais 10 grévistes et 12 blessés graves tombèrent sous les balles des gendarmes.
Malgré la répression sanglante, la crise menace de s’étendre dans le sud de l’île. Le Gouverneur envoie alors des troupes à Saint-Esprit le point central.
Les négociations commencent à Sainte-Marie entre les patrons et les ouvriers. Le Maire de Sainte-Marie tente de calmer les débats. Les patrons campent sur leurs positions et refusent de monter à plus que 1,25 francs et sans accord sur la charge de travail alors que les ouvriers réclament 2 francs et 300 coupes journaliers.
La situation se détériore dans le sud de l’île où les ouvriers d’usine rejoignent ceux des habitations et le les autorités reprennent les pourparlers. Suite à des négociations, un accord est trouvé à Rivière-Salée, les brimades et les « piquants » sont supprimés, les ouvriers grévistes ne seront pas renvoyés. Le salaire est augmenté à 1,50 franc journalier pour les ouvriers agricoles, 3 francs pour les ouvriers d'usine et la charge de travail est réduite.
Mais après la reprise de travail des ouvriers, certains patrons dont les Hayot se défaussent et licencient leurs ouvriers, en particulier les meneurs de la grève. D’autres baissent les salaires des travailleurs d'usine à 2,50 francs. Certaines habitations repassent le salaire des ouvriers agricoles à 1 franc le salaire qui avait conduit à la grève. Cela entraîne des arrêts de travail dans plusieurs habitations localisées où les ouvriers agricoles demandent le respect des accords signés à Rivière-Salée.
Ce premier épisode majeur de l’histoire du combat ouvrier martiniquais avait eu des échos nationaux où certains partis ouvriers expriment leur douleur et leur colère face au massacre des ouvriers grévistes « plus grand crime que depuis la commune la Bourgeoisie dominante ait commis à l’égard du prolétariat » (Parti Socialiste Français) et aussi à l’international où Lénine alors Chef d’état de l’URSS évoque « La Martinique, le pays des vaillants ouvriers du François ».
Au niveau du folklore on retient la chanson désormais célèbre « oué, oué, oué, oué, Missié Michel palé bay 2 francs » (Monsieur Michel refuse de donner 2 francs) qui fait référence à Michel Hayot l’un des propriétaires d’usine qui a refusé de donner aux ouvriers en grève et ceci même après l’accord qui augmentait le salaire journalier à 3 francs.
La poussée syndicale
Une des conséquences de la grève de Février sera la poussée du mouvement syndical. Alors qu’auparavant les ouvriers agricoles avaient peur d’être syndiqués par peur de représailles, désormais ils prennent conscience que la lutte de leurs droits passe par un mouvement uni et fort.
Aussi dès le lendemain de la grève, les travailleurs créent des syndicats dans plusieurs corps de métiers. En Septembre-Octobre 1900 apparaissent le syndicat des ouvriers maçons (80 membres), des chantiers (60 membres), des cordonniers, typographes, de la métallurgie, des employés de commerce et d’industrie et des employés de commerce de d’industrie.
Le premier syndicat des ouvriers agricoles apparaît au Lorrain avec 1081 membres et sera suivi par d’autres présents dans d’autres communes.
Cela inquiétait les autorités locales et notamment le Gouverneur Merlin qui fait un rapport au Ministre : « Il s’en crée un peut sur tous les points de l’île ».
En juin 1901, suite à une grande réunion générale est décidée une Bourse du Travail qui rassemble tous les syndicats de Saint-Pierre. Le programme est le suivant :
- Création de coopératives,
- Bureau de placement,
- Caisse contre le chômage,
- Retraites ouvrières,
- Banque de placement,
- Caisse contre le chômage,
- Retraites ouvrières et
- Banque de crédit pour le petit exploitant agricoles
Par la suite différents corps de métiers se mettront en grève. On peut noter la grève des typographes de l’imprimerie du journal « Les Antilles » suite au licenciement d’un employé le 30 novembre 1900 ou encore les charbonniers et charbonnières (photo ci-contre) qui transportaient le charbon (combustible utilisé à l’époque par les navires de transports de marchandise) sur les ports de Saint-Pierre et Fort-de-France. Payé 20 centimes de l’heure, ils réclamaient à la Compagnie Générale Transatlantique qui les employaient 30 centimes pour une tâche qui était très physique.
Le Conseil Général accorde une bourse de 500 francs à chaque syndicat local. Cependant cette poussée syndicaliste inquiète les classes bourgeoises qui vont tenter d’en faire des sociétés de secours mutuels. Les patrons essaient de rapprocher des syndicats également mais sans succès parce que les différends étaient trop importants pour qu’il y ait une entente.
Le mouvement syndical martiniquais obtiendra du Gouvernement Français l’application de la loi du 20 juillet 1886 qui créait la Caisse Nationale des retraites pour la vieillesse ainsi une pension serait versée pour les retraités martiniquais.
En 1905, suite à une nouvelle grève générale après que le salaire des ouvriers ait baissé, ils obtiennent le relèvement des salaires à 1,50 F pour le coupeur de cannes et 1,25 F pour l’amarreuse. Le caïdon et l’obligation d’achat dans les boutiques des propriétaires est supprimée. Il y avait cependant toujours des boutiques établies à proximité des usines et des habitations en 1910.
Les syndicats des ouvriers agricoles étaient encore peu nombreux en 1910. La Martinique n’en recensait que 4 (Lorrain, le plus puissant et qui comptait des petits propriétaires, Sainte-Marie, François et Vauclin). Deux nouveaux syndicats allaient voir le jour au Robert et à Trinité. Les syndicats des communes restaient sous l’influence du patronat et étaient dénués de ressources.
Les syndicats des autres corps de métiers présents à Fort-de-France rassemblaient plus 500 ouvriers et allaient avoir des résultats plus probants.
A noter que les syndicats et les partis politiques seront étroitement liés. D’abord c’est le Parti Socialiste qui aura les relations les plus proches avec les différents syndicats et leurs leaders notamment qui vont intégrer des partis politiques avant que le Parti Communiste fondé après la Première Guerre Mondiale ne rafle les faveurs des syndicats.
La grève des ouvriers agricoles de Janvier 1923
En 1922, le rhum est à son apogée, les bénéfices pour les rhumiers sont colossaux mais seuls les Békés profitent la manne. Les salaires des ouvriers agricoles n’augmentent pas. Les ouvriers du Sud travaillant pour les Hayot se révoltent. Des incendies sont signalés.
Le 29 janvier 1923, une grève débute alors dans les centres du Lorrain, Sainte-Marie, Basse-Pointe, Macouba et Trinité. A l’époque le salaire du coupeur de canne était de 3 F et celui de l’amarreuse de 2,50 F. Le coût de la vie qui avait drastiquement augmenté notamment lors des pénuries durant la guerre faisait cependant que la misère ouvrière était comparable à ce qu’elle était au début du siècle.
Pour se rendre compte de la tâche quotidienne des ouvriers agricoles, ils devaient frapper l’équivalent de 10 000 coups de coutelas et récolter 5 km de canne à sucre pour être percevoir leur salaire.
Les ouvriers se mettent en grève et réclament le paiement de la journée de travail à 4,50 F pour le coupeur et 3,50 F pour l’amarreuse.
Cette grève aura de nombreuses similarités avec la grève de 1900. Cette fois encore tout débute par une grève marchante avec des ouvriers allant d’habitation en habitation pour réclamer aux ouvriers de cesser le travail et rejoindre le mouvement.
Les usines du Nord Atlantique au Lorrain et Sainte-Marie sont stoppées net.
Le 9 Février, en partant de Sainte-Marie pour se rendre à Trinité, les manifestants sont attendus par un cordon de gendarmes et des cadres d’usine sur l’Habitation Ressources. Ils n’hésitent pas à tirer sur les manifestants qui sont restés à distance. Deux manifestants trouvent la mort, Flavini Dantes et Laurence Marlacy alors âgée de 29 ans et trois autres furent blessés.
Une nouvelle fois, une grève ouvrière se terminait dans un bain de sang mais contrairement à 1900, cette grève fut un échec car les ouvriers n’obtinrent pas l’augmentation réclamée. Pire, les ouvriers allaient subir de violentes répressions dans lors des futures manifestations et un climat de violence et tensions (attaque d’Eugène Aubéry, assassinat de Charles Zizine et Louis des Étages à Ducos, fusillade du Diamant) allait régner en Martinique au cours des prochaines années.
La « marche de la faim » des ouvriers agricoles en 1935
En 1935, la Martinique connaît l’une des plus puissantes luttes ouvrières de son histoire. C’est aussi la période d’apogée des syndicats ouvriers agricoles. En Février 1935, à l’aube de la saison de récolte de la canne à sucre, la question des salaires des ouvriers se pose une nouvelle fois.
La canne à sucre de laquelle les produits dérivés, le sucre et le rhum représentent 95% des exportations de l’île était la culture dont dépendait la majorité de la main d’œuvre dans l’île. Pourtant ces deux produits connaissaient la crise étant donné la concurrence avec le sucre de betterave et la décision du gouvernement français d’établir un quota sur les exportations de rhum en métropole.
Aussi dans les usines est décidé une baisse des salaires de 20 à 30% et la suppression des gratifications accordés aux employés. Le Gouverneur approuve la baisse des salaires des ouvriers de 20%. Dès lors, les ouvriers se révoltent et comme souvent le mouvement part des communes du Nord Atlantique où les ouvriers de diverses communes entre Basse-Pointe et Sainte-Marie procèdent à des incendies.
Dans le sud c’est à l’Usine de Rivière-Salée et celle de Petit-Bourg que débutent les premières étincelles.
Le 10 Février 1935, le gouverneur demande l’arrestation du très populaire Irénée Suréna alors délégué des ouvriers à la commission consultative du travail. Il était auparavant le fondateur du syndicat des employés d’usines et avait été licencié pour son militantisme.
Cette arrestation va définitivement accroître les tensions locales. Le même jour, des ouvriers se rassemblent à Morne-Pitault au Lamentin. Le 11 Février ils se rendent à Fort-de-France dans ce qu’on a appelé la « Marche de la faim ». Ils se rassemblent devant le palais du Gouverneur et les gendarmes tentent de les écarter. Ils sont vite rappelés à l’ordre par le Maire de Fort-de-France de l’époque, Victor Sévère, alors présent sur place qui leur demande de partir.
Les ouvriers avec le Maire de Fort-de-France et ses adjoints se rassemblent devant la prison et réclament la libération de Suréna. Face à l’ampleur de la manifestation, le Gouverneur Alfassa n’a d’autres choix que de libérer le syndicaliste.
Le 12 Février des négociations se tiennent à la chambre de commerce avec la présence du Président de la Chambre de commerce, Damien Suvélor, les délégués ouvriers, Ludovic Maller, Sainte-Croix Lambert, Georges Melon et les maires respectifs de Rivière-Salée et du Lamentin de l’époque, Joinville Saint-Prix et Docteur Cognet. Pas un seul ouvrier était présent.
Un accord intervient fixant le salaire au même niveau que l’année précédente. Les ouvriers d’usine, les cabrouettiers, les mulétiers devront travailler 6 jours par semaine. Ceux qui ne respectent pas les accords se verront infliger une baisse de salaire de 15%.
Le salaire reste de 20 F au total pour le coupeur et l’amarreuse quand ils auront effectué 5 jours de travail et ils auront 3 F de plus s’ils travaillent une journée supplémentaire.
Le patronat obtient un accroissement de la charge de travail par ouvrier (20 piles de 25 paquets d’un mètre au lieu de 80 cm). Au final, les ouvriers devaient travailler plus pour le même salaire qu’auparavant.
Dans plusieurs communes cet accord est mal perçu et les ouvriers y voit surtout leur désavantage à savoir un allongement du temps de travail. Dans plusieurs communes, la reprise du travail est difficile.
Deux choses à retenir de cette grève, les ouvriers n’auront pas été les grands gagnants de cette grève. S’ils ont pu obtenir de conserver leur salaire de l’année précédente, ils devront malgré tout travailler plus par contre en manifestant en force ils avaient réussi à faire plier les autorités et obtenir la libération du syndicaliste Suréna sans que cette manifestation ne finisse dans un bain de sang.